Symbyosis - Crisis

Symbyiosis reste pour moi étroitement associé à la grande époque de Listenable Records, quand le label dénichait quasiment à chaque pioche des talents nouveaux, sortis de nulle part - les Scarve, Soilwork, Theory in Practice ou Deranged -, et où tout ce qu'ils sortaient pouvait presque être acheté les yeux fermés. C'était d'ailleurs tout particulièrement vrai pour « Crisis », magistrale illustration musicale de ce qu'est une symbiose - association triomphante d'éléments pas forcément faits pour cohabiter sereinement. Prenez des guitares tantôt tranchantes et affûtées comme un scalpel, tantôt abrasives façon Spontex death/black, tantôt délicieusement mélodiques et tout à la fois chirurgicalement techniques. Mêlez les aux interventions d'un clavier qui densifie la texture des titres et apporte de l'amplitude et des prétentions toutes B.O.-esques à la musique. Ajoutez des vocaux âpres et déchirés à la mode BM, sachant rester à leur place et ne pas envahir tout l'espace musical. Liez ces éléments épars à l'aide d'une intelligence de composition de tous les instants, et vous obtiendrez 13 titres hyper denses et pourtant très aérés, qui vous blufferont par leur richesse, leur profondeur et la maestria qui y est à l'œuvre.

Repassons tout de même un coup par la case présentation: Symbyosis est un groupe francilien qui pratique un death metal (enfin disons que c'est plus proche du death que d'autre chose …) progressif dans sa démarche, sa diversité et les ambiances développées, et technique dans … sa technicité! Symbyosis est avant tout la créature d'un seul homme, Franck Kobolt, multi instrumentiste et principal compositeur de l'entité. OK, il est vrai qu'il est épaulé de Corrosive Bob au chant, de Phil Quist - qui fait office de copilote / compositeur - et de Karl - qui ajoute des doigts sur certains leads -, mais savoir que l'essentiel de cet album sort des tripes d'un seul gus laisse songeur et nous renvoie à notre triste condition de terres arides stériles où bien peu de chose dignes de ce nom poussent. Certes, ce genre de configuration – le quasi one-man-band-isme en vigueur ici – a des inconvénients auxquels « Crisis » n'échappe pas:
1) les parties de batterie sont assurées par une BAR, très bien programmée mais qui laisse parfois deviner sa nature - sur les passages blastés par exemple
2) le manque d'un line-up fort impacte la capacité à tourner sérieusement et prive le groupe de l'influx nécessaire à une production plus prolifique
… et pour en finir avec les rares reproches que l'on serait en droit de formuler à l'égard du groupe et de l'album en question, j'ajouterai que la prod' est clean à l'extrême et que le son est globalement un peu trop « compressé », ce qui apporte à l'ensemble une touche légèrement froide, pas assez organique … On pourra néanmoins rétorquer que cela sied tout particulièrement au feeling spacio-chirurgical de l'album.

Il faudrait quand même vous en dire un peu plus sur la musique de Symbyosis. Le metal hyper léché du groupe navigue entre un thrash saccadé incisif et un death mélodico-atmosphérique, en faisant toutefois des détours par le black symphonique et le heavy metal. Quand on regarde la thanx list de l'album, on se rend d'ailleurs compte de cet aspect protéiforme, le groupe citant Arch Enemy, Chuck Schuldiner, Coroner, Cynic, Devin Townsend, Napalm Death comme Steve Vai, Mozart et Eric Serra … A noter que cet album vous offrira des soli en veux-tu en voilà, en général longs et brillants, et toujours merveilleusement intégrés dans la délicate architecture des morceaux. Point de branlette stérile ici, non. La basse, de son côté, est bien moins présente que ses grandes sœurs mieux dotées en cordes, mais quand on l'entend, ça le fait (en mode smoothy sur l'intro de « The Epileptic Modern Artistic Non-Believer », en courte éjaculation à 0:18 sur « Little Princess » ou relativement funky, vers 0:32 sur « Synthesis »). Le chant quant à lui est plus en retrait, et c'est tant mieux, celui-ci ne faisant pas preuve de la finesse caractérisant le reste des acteurs. Les instrumentaux sont ainsi nombreux (au nombre de 4 pour être exact, intro comprise) et brillants, avec une mention spéciale à « Der Waltz Von Gehangen » qui ravira les nostalgiques du Sadist de « Tribe », ainsi que ceux qui apprécient les orchestrations des premiers Septic Flesh.

Mais ce qui effare vraiment sur « Crisis », c'est la minutie dans la construction des titres, la délicatesse et l'extrême intelligence de l'agencement des différentes parties, l'équilibre idéal entre cavalcades effrénées quasi black, saccades sismiques thrash, mélodies de haut vol et ambiances oniriques, épiques ou plus sombres. C'est vraiment de la très grande orfèvrerie métallique, et il est dur d'en extraire une poignée de pics créatifs ou émotionnels tant l'ensemble est homogène. Pour une fois donc, je ne décrirai pas avec force trémolo tel ou tel passage divin (bien qu'ils soient légion ici): j'aurais trop l'impression d'essayer vainement de vous décrire un magnifique paysage de forêt en vous faisant respirer l'odeur d'une motte de terre humide, ou en vous foutant la queue touffu d'un écureuil dans les nasaux. Et puis Symbyosis n'est pas une simple machine à hit singles, mais plutôt le metteur en scène de pièces complexes, riches, variées mais homogènes. A noter que, quelques lignes plus haut, je ne citais pas Sadist à la légère: c'est une référence qui reviendra souvent à l'esprit de l'auditeur averti tout au long de cet album.

En cette période de crise généralisée, concentrez-vous donc sur celle que Symbyosis a mis en musique pour vous sur cet album. Cette pépite reste injustement et insupportablement trop méconnue, à l'image des albums d'un Carcariass. Merde, ces frenchies pourraient envoyer beaucoup de leurs homologues américains ou scandinaves loin dans les cordes en matière de maestria et de talent de composition, alors vous autres qui êtes au courant de l'existence de ces p'tits gars, vous n'avez aucune excuse pour ne pas au moins leur donner leur chance !

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