Blind Guardian - At The Edge Of Time

Quand en août les bons albums sortis cette année se comptent sur les doigts de la main d'un Django Reinhardt, c'est le signe que le bilan annuel de la réaction va plus ressembler à un rassemblement de vieux aigris qu'à la messe de fanboys enjoués habituelle. Pourtant, ça fait deux mois que grâce à l'ail-poule de Nuclear Blast je peux écouter ce qui sera sans nul doute pour les fans de heavy metal et les amoureux de musique un poil chiadée l'album de l'année : At The Edge Of Time de Blind Guardian. Même si le heavy sur Thrasho c'est un peu la cinquième roue de notre beau carrosse propulsé par la bande de bourrins de la rédaction (bien que Keyser me souffle qu'il refuse catégoriquement que je le compare à un pur sang arabe), on ne peut pas se permettre de rater les nouveautés des grosses pointures, surtout quand elles jouissent d'un parcours aussi exemplaire que celui de Blind Guardian. Il aura donc fallu attendre quatre longues années pour enfin pour jeter une oreille sur le successeur de l'atypique mais néanmoins excellent A Twist In The Myth, lui-même sorti quatre ans après le génialissime A Night At The Opera, album qui est un peu au heavy metal ce que l'espagnol est au portugais : le palier supérieur. Les teutons n'ont subi aucun changement de line-up depuis la précédente coupe du monde, ils ont juste pris un sacré coup de vieux et perdu leurs cheveux qu'ils n'avaient de toute façon plus en grand nombre. Pourtant leur musique, elle, n'a pas pris une seule ride.

Il était hors de question que je chronique At The Edge Of Time sans avoir entre les mains sa version double cd avec ses six titres bonus (versions démo, orchestrales ou raccourcies des titres présents sur le cd normal, plus une version de la reprise de John Farnham« You're The Voice » différente de celle présente du single) et ses deux vidéos (celle de Sacred et un studio report inédit), et les chroniques ont donc d'ores et déjà fleuri un peu partout sur le net mais je m'en fiche, ça me permet de chroniquer un album que je peux chanter (faux) du début à la fin. Je ne vous ferai évidemment pas l'affront de comparer le groupe à d'autres formations : c'est Blind Guardian qui lance les modes, et si le groupe a souvent été copié il n'a jamais été égalé, surtout depuis que Hansi et Marcus se sont mis à travailler leurs arrangements comme des fous pour apporter un côté progressif décomplexé à leur heavy metal. Les Allemands utilisent toujours les mêmes schémas de composition depuis le milieu des années 90 et tous ceux qui ont déjà jeté un jour une oreille sur un de leurs albums reconnaîtront immédiatement cette délicieuse manie de réserver le pic d'intensité aux refrains, chargés de chœurs, de claviers (voire désormais d'orchestrations, puisque le groupe s'est payé le bel orchestre de Prague qui change sacrément des claviers), et de composer des titres qui ne sont chantables que si vous avez au moins trois potes pour vous accompagner. Dans la lignée des précédents opus des teutons, At The Edge Of Time s'avère pour le moins fourni en informations sonores, couches instrumentales et vocales multiples, mais il renoue tout de même avec l'aspect direct très thrash de Somewhere Far Beyond et Imaginations From The Other Side, notamment avec un « A Voice In The Dark » qui est le morceau de Blind Guardian le plus rentre dedans depuis vingt ans. Dans un registre plus classique, on a évidemment droit à la belle ballade façon « Carry The Blessed Home » avec « Valkyries », et à l'instar de « The Bard's Song » ou « Skalds And Shadows », le très calme « War Of The Thrones » est totalement orienté acoustique/médiéval, tout comme « Curse My Name » jusqu'à sa dernière minute où le retour des guitares électriques rappelle le fantastique « The Maiden And The Mistrel Knight ».

S'il fallait encore une preuve que le cru 2010 de Blind Guardian n'est que la continuité de ceux de 2002 et 2006, le formidable, que dis-je, le génial « Ride Into Obsession » aurait sans aucun problème pu figurer sur A Night At The Opera, vu qu'il est de loin le morceau le plus complexe et le plus détaillé de l'album, tout en restant le plus aisément mémorable grâce à sa mélodie imparable. Loin de moi cependant l'idée de prétendre que At The Edge Of Time n'a pas sa propre personnalité : sa grande variété et son orchestration qui va du subtil à l'envahissant lui donnent une couleur bien particulière, des titres comme « Road Of No Release » ou « Control The Divine » achèvant de le distinguer de ses prédécesseurs. Et j'ose le dire, on tient là un des tous meilleurs albums de Blind Guardian, à mon sens supérieur à tout ce que le groupe a fait jusqu'à présent hormis peut être Imaginations From The Other Side et A Night At The Opera, car il est à la fois plus varié et accrocheur que A Twist In TheMyth et plus travaillé que Nightfall In The Middle Earth, même si ces deux albums possèdent des qualités que At The Edge Of Time ne possède pas (à savoir respectivement des morceaux atypiques à la « Fly » et une réserve de tubes taillés pour le live impressionnante). Impossible de ne pas savourer les riffs entraînants, les superbes mélodies et les lignes de chant toujours aussi justes et émouvantes de Hansi, à moins d'être particulièrement hermétique au virage que Blind Guardian a entamé il y a de cela plus de douze ans maintenant. Tout chroniqueur digne de ce nom sait à quel point il est difficile d'exprimer précisément son enthousiasme, et la tâche est rendue encore plus ardue avec Blind Guardian puisque la musique du groupe forme un tout totalement indivisible car incroyablement cohérent. Soit vous accrocherez à At The Edge Of Time soit il vous laissera indifférent, d'où mon enthousiasme effréné pour cet album que je considère d'ores et déjà comme exceptionnel, et qui devrait marquer les set-lists de Blind Guardian jusqu'à ce qu'ils aient l'âge de passer leur après midi devant Derrick en attendant la version allemande des Chriffes et des Lettres.

At The Edge Of Time a beau être une sacrée pépite et un des meilleurs albums des Allemands, il n'est cependant pas exempts de défauts, même s'ils sont tellement minimes qu'ils relèveront plus des goûts de chacun que de la tuile objective. Soyons clairs, si vous aimez tout Blind Guardian de A à Z et que vous vous reconnaissez totalement dans la démarche actuelle du groupe qui compose des morceaux simples et entraînants complexifiés par des tonnes d'orchestrations, des chœurs, une dizaine de types de chant, et d'innombrables arrangements, ce nouvel opus vaut un gros 10/10, que je n'ai d'ailleurs pas été loin de lui mettre. Si vous n'aimez que la période pré-Nightfall In The Middle Earth vous serez encore une fois déçus par tant d'esbroufe même si des titres comme « A Voice In The Dark » et « Curse My Name » devraient vous plaire sans problème. Si vous ne jurez que par A Night At The Opera et surtout A Twist In The Myth vous serez ravis de constater que At The Edge Of Time en est la continuité, malgré le relatif abandon du côté très progressif et le retour à des riffs plus virils et des tempos plus élevés. Personnellement, et aimant tout ce que Blind Guardian a fait depuis ses débuts sans exception mais à divers degrés, je n'ai de légères réticences qu'avec les orchestrations de « Sacred Worlds » (dont la version 2008 plus courte et plus directe m'apparaît légèrement supérieure) et de « Wheel Of Time » un poil chargées, sans pourtant jamais tomber dans le pompeux. Beaucoup de ceux qui ont écouté l'album trouvent « Valkyries » est assez faible, avec son côté Queen très prononcé au niveau des guitares qui semble déplaire aux moins moustachus d'entre nous, mais son refrain tout en chœurs, sa basse proéminente et sa montée en puissance progressive en font pour moi un titre important, pivot central d'un album dont seules les extrémités me laissent une minuscule impression de perfectibilité.

Difficile de noter un pareil morceau de bravoure en sachant que Blind Guardian avait déjà sorti quelques monuments auparavant : si dans sa version normale At The Edge Of Time vaut déjà chaque euro qu'il coûte, les bonus de la version double cd l'enrichissent encore un peu plus grâce à des versions différentes, parfois plus à même de plaire que les originales, notamment pour « Sacred ». Et comme c'est cette version dont je vous parle depuis tout à l'heure, un demi point de plus par rapport à ce que je pensais mettre au promo ne semble pas usurpé – et puis merde, ça fait longtemps qu'on est plus près de ses sous, surtout quand on parle des Allemands. Sans être aussi impressionnant de détails que A Night At The Opera ni aussi efficace que les premiers essais du groupe, At The Edge Of Time a de sérieux arguments pour convaincre ceux qui trouvaient les deux derniers albums un peu mous tout en restant parfaitement dans les cordes des fanatiques du Blind Guardian du troisième millénaire. Si par malheur vous ne connaissiez pas ce combo de heavy metal légendaire, jetez-vous sur cet album, compromis parfait entre la complexité d'une musique très détaillé et l'efficacité d'un heavy metal qui retrouve même quelques accents du thrash d'antan, ce qui n'étonnera guère venant d'Allemagne. Alors que les géants du style ont tous sombré, que Iron Maiden ne sort plus que de la soupe depuis dix ans, que Helloween se tire une balle dans le pied un peu plus profond à chaque album depuis le même laps de temps, que Iced Earth a perdu toute sa verve et que Demons & Wizards ne sortira rien avant au moins 2013, on voit mal qui va pouvoir venir les concurrencer sur leur terrain dans les années qui viennent. Bon, je dois quand même l'avouer, on reste un cran en dessous de Steel Panther.

Le clip de « A Voice In The Dark » :


Le clip ingame de la version edit (plus courte et sans orchestrations) de Sacred faite pour le jeu Sacred 2, disponible également sur la version double cd de l'album :

DONNEZ VOTRE AVIS