Si vous avez déjà lu quelques-unes de mes chroniques, vous savez que j'aime rattacher un groupe à sa nationalité. C'est une chose assez superficielle (voire tendancieuse), j'en conviens. C'est pourquoi je ne le fais que quand je sens un lien fort entre une musique et les images mentales que me renvoie son pays d'origine. Bref, Inferno est tchèque et, désolé, mais ça se sent.
Car
Gnosis Kardias, septième album du groupe, fait du black metal un enfer tortueux comme un roman de Kafka et esthétique comme les lithographies de Mucha, un monument morbide comme l'horloge astronomique de Prague, où des squelettes viennent sonner les heures qui s'écoulent. Ceux qui ont déjà connu la formation avec
Omniabsence Filled by His Greatness (excellent prédécesseur chroniqué en ces pages par le regretté FleshOvSatan) ne seront pas étonnés d'entendre une nouvelle fois ces guitares à la fois orthodoxes et psychédéliques, d'être pris dans cette atmosphère étrange, indubitablement satanique, raffinée, où derrière la lumière de leads claires semble se cacher une entité trouble, tapie dans les quelques traces d'ombres laissées dans les coins. Aucun doute : Inferno est bel et bien toujours cette bête indéfinissable, accessible, racée, hypnotique, que j'avais découverte quelques années auparavant.
Seulement,
Gnosis Kardias s'impose, au fur et à mesure qu'il s'invite chez nous (souvent, c'est-à-dire), comme un album où les Tchèques maîtrisent encore un peu plus leur art, au point que toutes références, même lointaines, semblent caduques. De Ascension à Enslaved, de Blut Aus Nord à The Cure, des histoires de possession à celles où le Diable a été le mieux personnifié... Rien ne paraît s'accorder parfaitement avec ces compositions, dont la splendeur apparente (les blast-beats et mélodies serpentant l'espace raviront les avides de metal aussi nerveux que gracieux), gigantesque pied-de-nez à ceux pensant que seuls le raw ou le dissonant sont capables de transmettre une ambiance démoniaque, finit par devenir un temple où l'odeur de soufre emplit les narines. Écoutez ce disque, fermez les yeux, et constatez comment ces morceaux font voir un prêche où les anges ont un sourire narquois, les colonnades des enchevêtrements d'or s'écoulant comme du sang, le sol une teinte marbrée dans laquelle on croit deviner des cadavres s'enroulant les uns dans les autres... Constamment splendide, constamment prenant,
Gnosis Kardias donne à chaque fois à voir derrière ses envies de catharsis le véritable seigneur de ses rites et de ses domaines.
Ce qui fait qu'on n'est pas prêt d'enlever l'étiquette « orthodoxe » à Inferno, bien qu'elle est devenue un lieu commun au sein de la scène black metal. Pour être clair, les derniers essais de certains chefs de file deviennent pudibonds face à cette œuvre se permettant des détours qui auraient fait mériter l'excommunication ad vitam æternam chez d'autres. Parfois larmoyant (le final de « The Innermost Disillusion »), parfois dansant (le début de « Abysmal Cacophony »), flirtant aussi bien avec le post-rock que le thrash,
Gnosis Kardias ne tombe pourtant jamais dans le piège du disque trop hétéroclite, gardant comme fil conducteur une dévotion exprimée à chaque moment au sein de ses différentes montagnes russes. Il faut dire qu'avec un chanteur tel que Adramalech, la barre est fermement tenue le long de ces quarante-quatre minutes ! Qu'il susurre, dicte, déclame ou hurle, épaulé par Nikolaos Panagopoulos (leader de Acherontas), il se place comme le prédicateur principal de cette messe, malgré une qualité d'ensemble où chacun peut prétendre au premier rôle.
Même la pochette de José Gabriel Alegría et la production signée Necromorbus se mettent au diapason de la majesté que déploient ici les Tchèques ! Tableau quasi-parfait, ce n'est qu'en contemplant
Gnosis Kardias avec un regard critique que des défauts se décèlent. Le diable se situe clairement dans les détails de cette musique qui ne cesse de se découvrir, ici un riff passé autrefois inaperçu, là une ligne de chant qui se révèle sous les nappes sonores. Mais il est aussi dans ce bizarre sentiment d'inassouvi qui conclut les rencontres avec cet album de Inferno, se terminant à chaque fois sur une annonce laissant croire qu'il s'inscrit dans un schéma plus grand, pour l'instant laissé secret à nos oreilles (l'outro « Orison for the Baneful Serpent »). Un final rendant curieux et tremblant, d'un album qui fait de « la voie de la main gauche » et « de main de maître » une seule et même expression.
11 COMMENTAIRE(S)
11/10/2017 11:54
En plus les types sont clairement à la cool, ils aiment la weed et m'ont promis un split avec Devathorn "encore plus pété". Ce qui ne gâche rien au délire.
11/10/2017 12:32
" ...cette bête indéfinissable, accessible, racée, hypnotique..." comme tu le dis !
edit : pour info le lien amazon ne fonctionne pas (sous firefox) : des caractères en trop.
27/04/2017 20:03
méandreux, dérangé, et perché. avec un son toujours aussi désincarné. du bon comme son prédécesseur, même si il me perd un peu sur sa 2ème moitié (j'en sais rien, c'est p't'être fait exprès).
26/04/2017 16:36
25/03/2017 19:29
25/03/2017 10:25
25/03/2017 09:58
25/03/2017 19:00
Je suis d'accord pour dire qu'il y a un contexte entourant la création d'une œuvre, mais je trouve que s'arrêter à la seule nationalité est limitée, particulièrement dans des styles qui sont assez "mondialisés" (un groupe de death metal européen pourra se revendiquer de la scène américaine, un groupe de black metal américain de la scène norvégienne etc...). Et puis il y a sans doute d'autres facteurs : la vie personnelle, les rencontres avec d'autres groupes, Internet... Bref, c'est dans ce sens que je dis que rattacher une formation à sa nationalité est assez superficielle et que je ne le fais que dans quelques cas, où cela me semble dire quelque chose sur la musique qu'elle joue.
25/03/2017 00:51
24/03/2017 16:05
24/03/2017 13:20