Soundgarden - Badmotorfinger Chronique
Soundgarden Badmotorfinger
La scène se déroule en pleine journée dans un appartement particulièrement enfumé. Un beau gosse aux cheveux longs assis dans un canapé (Brad Pitt) tape une douille en toute décontraction (mais avec conviction) avant que ne viennent frapper à la porte quatre gangsters armés de revolver et de fusils à pompe. Une fois rentrés dans l’appartement, ces derniers lui demandent poliment où trouver Clarence Worley (Christian Slater). Le jeune Brad Pitt s’engage alors dans des explications imbitables tout en souriant comme si de rien n’était, l’esprit déjà ailleurs. Depuis le début de cette scène ubuesque résonne en fond sonore "Outshined" de Soundgarden.
Voilà comment au début des années 90 grâce à l’excellent True Romance de Tony Scott s’est faite mon introduction au groupe de Seattle. Pourtant, notre histoire commencera véritablement quelques semaines plus tard avec la sortie de Superunknown. Et oui, du haut de mes treize ans, Badmotorfinger avait quelque chose d’un peu trop compliqué pour moi. Tout ça manquait d’immédiateté à l’oreille d’un adolescent qui ne jurait encore à l’époque que par AC/DC, Iron Maiden et Metallica.
Sorti le 8 octobre 1991, Badmotorfinger a probablement davantage profité de la sortie le même jour du célèbre Nevermind de Nirvana qu’il n’en a véritablement souffert. En braquant ainsi les projecteurs sur Seattle (et cette scène Grunge émergente un peu partout aux Etats-Unis), Kurt Cobain et ses acolytes ont certainement permis à bien d’autres groupes de sortir de l’ombre dans laquelle ils se trouvaient. Bien que ce ne fusse pas tout à fait le cas de Soundgarden qui avait déjà sorti deux albums encensés par le public et la presse spécialisée, le phénomène n’a certainement fait qu’amplifier ce succès d’estime. D’ailleurs Badmotorfinger sera le premier album des Américains à être certifié double album de platine en 1996. Soit deux millions d’exemplaires écoulés en l’espace de cinq ans seulement.
Produit pour la deuxième fois consécutive par Terry Date (Metal Church, Pantera, Deftones, Machine Head...), Badmotorfinger va surprendre dès les premières écoutes par sa production à la fois très dense mais aussi hyper métallique. Un son particulièrement lourd et brûlant, hérité des influences sabbathiennes de Soundgarden, qui va alors apporter aux compositions un feeling Stoner/Doom bien plus marqué qu’autrefois (les riffs de Thayil et Cornell n’ont jamais été aussi plombés que sur "Outshined", "Slaves & Bulldozers", "Jesus Christ Pose" ou "Room A Thousand Years Wide"). Un poil plus tarabiscoté et moins facile d’accès que Superunknown mais surtout plus lourd et agressif que Louder Than Love, Badmotorfinger est certainement l’album le plus abrasif que Soundgarden ait sorti de toute sa carrière.
Et si on y trouve les premiers vrais succès du groupe avec des titres tels que "Rusty Cage", "Outshined" ou "Jesus Christ Pose", Badmotorfinger est aussi le premier album sur lequel figure le bassiste Ben Shepherd. Un petit nouveau qui va très vite trouver sa place notamment quand on entend avec quelle vigueur ronronne son instrument tout au long de ces cinquante-huit minutes. Arrivé au sein de la formation quelques mois plus tôt en remplacement de Jason Everman, celui-ci va apporter quelques idées fraîches en matière de composition - que ce soit sur le plan technique ou celui plus abstrait de la créativité - puisqu’on lui doit quand même certains des meilleurs titres de l’album ("Slaves & Bulldozers", "Jesus Christ Pose", "Face Pollution" et "Somewhere"). Une embauche qui va donc s’avérer particulièrement payante pour les deux parties puisqu’il restera le bassiste de Soundgarden jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi, entre la production typique des années 90 de Terry Date et l’arrivé de Ben Shepperd dans les rangs de cette formation qu’il suivait depuis déjà plusieurs années, Badmotorfinger s’impose comme l’album de la maturité. Une maturité d’autant plus marquée qu’elle se caractérise par des compositions plus personnelles et abouties que par le passé. Certes, Soundgarden a toujours eu une identité bien affirmée, notamment grâce à la voix si caractéristique de Chris Cornell, mais il n’empêche que ce troisième album marque une étape importante dans la carrière du groupe américain. Plus à l’aise et donc beaucoup plus libre dans sa manière de composer, celui-ci n’hésite pas à expérimenter, à sortir des sentiers battus et ainsi proposer des morceaux où les idées (des riffs tordus ou dissonants, une séquence à la construction atypique, un enchevêtrement de voix, un arrangement…) se succèdent parfois, toujours en toute cohérence. Il n’y a donc rien d’étonnant à entendre par exemple un saxophone sur des titres comme "Room A Thousand Years Wide" ou le très jazzy "Drawning Flies" ou bien à constater plus simplement des changements de registres assez inattendus, Soundgarden passant ainsi du brûlot Punk Rock / Heavy Metal ("Rusty Cage", "Face Pollution") à des titres beaucoup plus écrasants tels que "Outshined", "Slave & Bulldozers", "Jesus Christ Pose" sans oublier de dispenser ici et là quelques moments de répit tout en mélodie à l’image des excellents "Somewhere" ou "Mind Riot".
Là-dessus vient se poser la voix impeccable d’un Chris Cornell toujours aussi passionné et qui surtout croit dur comme fer en ce qu’il raconte. Retranscrire des émotions n'est pas une chose aisée mais c’est bien un exercice dans lequel il excelle, que ce soit tout là-haut lorsqu’il s’amuse à franchir 4 octaves en tout simplicité ou bien lorsque sa voix se fait plus profonde. Alors oui, c’est vrai, la musique de Soundgarden ne se limite pas au simple organe du regretté Chris Cornell mais il est évident qu’il portait en lui une grande part de la singularité de ce groupe qui a tant marqué de son passage les années 90.
Album de la reconnaissance public, Badmotorfinger va faire de Soundgarden l’une des figures incontournables d’un mouvement pourtant inventé de toute pièce par la presse américaine. Mais finalement, peu importe les étiquettes et le poids des médias dans toute cette histoire, celle-ci a depuis montré que le talent de ces quelques groupes était tout sauf une vue de l’esprit de certains scribouillards en manque de scoop. Ainsi et quoi qu’il arrive, Badmotorfinger restera à jamais l’un de ces albums générationnels sur lequel on se retournera sans honte afin de se remémorer une époque aujourd’hui révolue et surtout de plus en plus lointaine. | AxGxB 11 Octobre 2017 - 1795 lectures | | DONNEZ VOTRE AVIS Vous devez être enregistré(e) et connecté(e) pour participer. 15 COMMENTAIRE(S) citer | Batu 11/10/2017 23:55 | note: 10/10 | Mon premier contact abrupt avec ce groupe mythique s'est fait par le biais d'un simple jeu de moto au charme fou, suintant bon les 90s et dégoulinant de crasse, de poussière, de sexe et d'alcool bon marché, du nom de Road Rash, sur la première Playstation, il y a bien 14 ans déjà me semble-t-il. Premier riff strident se confondant avec le vrombissement menaçant des moteurs, vestes en cuirs zippées jusqu'au col, casques ajustés, battes de baseball lustrées et autres chaînes de biker enroulées autour du cou, c'est un véritable coup de poing qui venait à fracasser mon écran et mes oreilles au même moment où le premier coup tonitruant de Matt Cameron venait à s'abattre sur la cymbale, qui allait envoyer Rusty Cage dévorer mon innocence juvénile et m'introduire à un univers complètement à part, en même temps que cette mythique cinématique d'introduction, et sur lequel j'allai revenir non sans une grosse pointe de nostalgie, le sourire en coin, à la manière d'un diplômé en université qui reviendrait observer le lieu de ses premiers pas dans le monde adulte du sexe, de l'esprit vagabond, de l'énergie et de la sauvagerie, au collège.
Incontournable, à part, dans une autre dimension, imparable. | citer | AxGxB 11/10/2017 16:36 | note: 10/10 | gulo gulo a écrit : AxGxB a écrit : Ok ok, je connais tout ça. J'espérais découvrir d'autres pépites oubliées
Pour les pépites oubliées, tu devrais aller lire les chroniques d'Eyelovya, chez nous, ce jeune a chiné pas mal de choses dont personnellement je n'ai jamais même entendu parler à l'époque
Et comment je cherche par chroniqueur ? (merci sinon)
Edit : J'ai fait une recherche par "style". J’approfondirai la question en tout cas. Merci. | citer | AxGxB 11/10/2017 16:10 | note: 10/10 | Ok ok, je connais tout ça. J'espérais découvrir d'autres pépites oubliées Mais Alice In Chains quand même. Tu devrais faire un effort | citer | AxGxB a écrit : Non mais sérieux, northstar ! Du coup, en grand amateur de Grunge, tu écoutes quels groupes ?
Nirvana, Nirvana et Nirvana... je déconne (ou pas) ,mais y'en a une panoplie de bons groupes de l'époque,L7, Weezer, Failure ,Sonic Youth(Dirty,bordel) ,Hole, Pixies(dans l'esprit du moins) The Breeders, Babes in Toyland, etc,etc... et aujourd'hui avec le revival y'en a également des tonnes . | citer | LANGOUSTE a écrit : gulo gulo a écrit : Mis à part "Face Pollution"
Marrant, moi je l'adore celle-là. C'est plutôt Drawing Flies qui me saoule.
Rooh, rien que le flow de Cornell, dessus... et puis ce groove, toujours dans le bizarre et l'inclassable - à la rigueur, certains délires funky de Pearl Jam... Tiens, oui, Ten est le seul, dans un autre registre, à être aussi "free" dans ses formes (Ocean...). | citer | gulo gulo a écrit : Mis à part "Face Pollution"
Marrant, moi je l'adore celle-là. C'est plutôt Drawing Flies qui me saoule. | citer | AxGxB 11/10/2017 15:31 | note: 10/10 | Non mais sérieux, northstar ! Du coup, en grand amateur de Grunge, tu écoutes quels groupes ? | citer | , tiens par la même occasion, j'ai oublié Pearl Jam dans le lot. | citer | northstar a écrit : Grand amateur de Grunge , mais ce groupe jamais pu piffer , le seul truc que j'ai apprécié d'eux c'est Black Hole Sun, et quitte à passer pour un hérétique même chose pour Alice In Chains(exception peut-être pour Dirt)
Bannissement. | citer | Hors d'atteinte. Mis à part "Face Pollution", que de l'or là-dessus ; et pour ma part, je trouve que la voix de Cornell n'est qu'une bizarrerie parmi d'autres sur un album qui n'est fait que de ça : le son, les riffs, les compos, tout est acide, ferrugineux, surréel. Aujourd'hui, il me paraît encore plus étrange qu'alors, où je n'avais pas la manie de tout ramener à quelque chose d'autre de ressemblant, et où il était juste lui.
Il ne ressemble à rien d'autre, ce disque. | citer | Grand amateur de Grunge , mais ce groupe jamais pu piffer , le seul truc que j'ai apprécié d'eux c'est Black Hole Sun, et quitte à passer pour un hérétique même chose pour Alice In Chains(exception peut-être pour Dirt) | AJOUTER UN COMMENTAIRE | notesChroniqueur : | 10/10 | Lecteurs : | (10) 9.6/10 | Webzines : | (8) 9.23/10 |
plus d'infos sur | Soundgarden Grunge - 1984 † 2017 - Etats-Unis | | |
tracklist01. | Rusty Cage (4:26) | 02. | Outshined (5:11) | 03. | Slaves & Bulldozers (6:56) | 04. | Jesus Christ Pose (5:51) | 05. | Face Pollution (2:24) | 06. | Somewhere (4:21) | 07. | Searching With My Good Eye Closed (6:31) | 08. | Room A Thousand Years Wide (4:06) | 09. | Mind Riot (4:49) | 10. | Drawing Flies (2:25) | 11. | Holy Water (5:07) | 12. | New Damage (5:40) | Durée : 58:47 |
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15 COMMENTAIRE(S)
11/10/2017 23:55
Incontournable, à part, dans une autre dimension, imparable.
11/10/2017 16:40
Pour les pépites oubliées, tu devrais aller lire les chroniques d'Eyelovya, chez nous, ce jeune a chiné pas mal de choses dont personnellement je n'ai jamais même entendu parler à l'époque
Et comment je cherche par chroniqueur ?
C'est dans "Contact" ; mais on peut pas (encore ?) faire une recherche croisée. A la rigueur, avec deux onglets, en recoupant ^^
11/10/2017 16:36
Pour les pépites oubliées, tu devrais aller lire les chroniques d'Eyelovya, chez nous, ce jeune a chiné pas mal de choses dont personnellement je n'ai jamais même entendu parler à l'époque
Et comment je cherche par chroniqueur ? (merci sinon)
Edit : J'ai fait une recherche par "style". J’approfondirai la question en tout cas. Merci.
11/10/2017 16:30
Je le connais ce blog mais merci. J'y ai d'ailleurs récupéré pas mal de trucs desquels j'étais passés à côté
11/10/2017 16:27
11/10/2017 16:25
Pour les pépites oubliées, tu devrais aller lire les chroniques d'Eyelovya, chez nous, ce jeune a chiné pas mal de choses dont personnellement je n'ai jamais même entendu parler à l'époque
11/10/2017 16:10
11/10/2017 16:07
Nirvana, Nirvana et Nirvana... je déconne (ou pas) ,mais y'en a une panoplie de bons groupes de l'époque,L7, Weezer, Failure ,Sonic Youth(Dirty,bordel) ,Hole, Pixies(dans l'esprit du moins) The Breeders, Babes in Toyland, etc,etc... et aujourd'hui avec le revival y'en a également des tonnes .
11/10/2017 16:03
Marrant, moi je l'adore celle-là. C'est plutôt Drawing Flies qui me saoule.
Rooh, rien que le flow de Cornell, dessus... et puis ce groove, toujours dans le bizarre et l'inclassable - à la rigueur, certains délires funky de Pearl Jam... Tiens, oui, Ten est le seul, dans un autre registre, à être aussi "free" dans ses formes (Ocean...).
11/10/2017 15:45
Marrant, moi je l'adore celle-là. C'est plutôt Drawing Flies qui me saoule.
11/10/2017 15:31
11/10/2017 15:13
11/10/2017 15:00
Bannissement.
11/10/2017 14:59
Il ne ressemble à rien d'autre, ce disque.
11/10/2017 14:55