GIVRE, quatrième album. Mais quel parcours complexe et presque chaotique... Mathieu, Jean-Lou et David ont créé le groupe en 2010 et ont sorti leur premier album, autoproduit, dans la foulée. 4 ans plus tard, deux de nos compères veulent prendre une autre orientation.
GIVRE est alors enterré pour se renommer
ENTHEOS.
ENTHEOS propose alors deux albums en 2015 et 2017, dans une veine black metal expérimental, avant-gardiste et agressif. Et là, nos Québecois ont envie de faire un petit retour en arrière, mais sans arrêter d’explorer leurs nouvelles idées. Alors au lieu de faire un nouveau changement, ils déterrent
GIVRE et se permettent de faire vivre les deux entités en parallèle. Du coup
GIVRE et
ENTHEOS continuent leur carrière et permettent d’assouvir les différentes envie de Jean-Lou et David. C’est tout de même
GIVRE qui semble un peu plus privilégié et trois albums ont été composés depuis 2021 :
Le Pressoir mystique,
Destin messianique et celui dont nous allons parler aujourd’hui,
Le cloître. Il sort en mars 2024, juste un mois après le nouvel album d’
ENTHEOS, montrant à quel point les deux formations vivent véritablement en même temps...
Musicalement,
GIVRE sonne très moderne. Il officie dans le black metal lourd, très agressif mais porté par des riffs qui peuvent apporter beaucoup de mélodicité. J’avais précédemment fait une comparaison avec
GLACIATION, et ce serait à nouveau pertinent, sauf que je sens plus de ressemblances désormais avec
GAEREA et nos Français de
SETH. Surtout dans le sens où les compositions sont carrées, peaufinées et emballées dans un son chaud.
GIVRE déboite tout sans concession et il réchauffe sa mère.
« Sa mère », ou « sa sœur » plutôt, vu la thématique. C’est que
GIVRE aime aussi travailler son contenu, et qu’il a de bonnes idées. Tout en conservant son besoin de parler et d’analyser la religion chrétienne, il trouve une orientation différente à chaque fois. Et là, les 6 morceaux portent tous le nom de six femmes qui se sont consacrées à Dieu, et qui symbolisent les sacrifices et les épreuves d’une vie en Son honneur.
-Hildegarde de Bingen (1098-1179), allemande qui fut abbesse mais aussi poétesse, visionnaire et illustratice.
-Marguerite de Cortone (1247-1297), née en Toscane, fut franciscaine du Tiers-Ordre et fonda une communauté de femmes venant en aide aux malheureux.
-Thérèse d’Avila (1515-1582), espagnole, religieuse carmélite qui a eu une grande influence grâce à ses écrits présentant la spiritualité et le mysticisme.
-Marie des Vallées (1590-1656), française, était une mystique qui avait choisi d’endosser « les peines de l’Enfer » pour faire don de ses souffrances à ses « frères perdus ». Une masochiste XXL en quelque sorte...
-Louise du Néant (1639-1694), elle aussi française et mystique, a eu la particularité d’être d’abord internée à la Salpêtrière avant d’y devenir soignante. Elle tenait des correspondances avec ses confesseurs et certains de ses écrits sont restés dans l’histoire.
-Marthe Robin (1902-1981). Française, mystique, elle a fondé les Foyers de charité. Ça partait bien, mais l’organisation a été placée sous la gouvernance d’un délégué pontifical en 2022 après des affaires d’abus sexuels...
Ce sont 6 compositions intelligentes. Elles abordent une thématique d’un point de vue intéressant, observant plus que jugeant des femmes qui ont porté leur(s) croix. Et cette intelligence se retrouve dans la composition des morceaux, avec des évolutions toujours assez imprévisibles, parfois même sournoises. Ils nécessitent plusieurs écoutes pour délivrer leurs secrets, mais il suffit d’une seule pour se rendre compte de la richesse ambiante. J’avoue être moins sensible à certains passages, principalement ceux qui ont trop d’accents death metal (vocaux ou riffs), mais c’est un critère totalement subjectif.
Le cloître est un album vénérable, et il faut le tenter, avec la possibilité de l’adorer, le risque de le détester...
1 COMMENTAIRE(S)
09/11/2024 14:58
Le Cloître est articulé autour des mystiques catholiques, ces femmes qui vivent intimement unies à Jésus-Christ et qui en font autant de figures de la spiritualité catholique. Le premier titre, Marthe Robin, est ainsi parcouru de notes fragiles, un brin menaçantes, qui laissent planer d’emblée une atmosphère d’exorcisme un peu étrange, mi-doucereuse, mi-inquiétante. L’attaque des guitares est profonde, en partie grâce à un son chaud et enveloppant mais également à des mélodies bien troussées, fondues dans la masse, presque shoegaze par instants, comme si Alcest se mêlait à la bagarre. L’ambiance est à la douceur ; la progression est réelle, le titre semblant se mouvoir au gré des mélodies jusqu’au pont central, plus décalé, plus agressif, fait de guitares saccadées.
Cette entrée en matière dissimule une suite bien plus violente, plus enlevée aussi. Louise du Néant démarre sous des auspices plus lugubres, une attaque frontale avant que la mélodie ne reprenne le dessus mais toujours cette mélodie un peu malade, fiévreuse, comme empreinte d’une part de folie mystique. De nouveau, le pont central perturbe, voix quasi funeral doom à l’appui, guitares plombées et progression ultra lourde qui lance le titre vers une autre direction, plus brutale et abyssale, presque core sur la fin. Sainte Thérèse d’Avila s’inscrit dans la même veine, qui mélange les approches BM et parfois plus deathcore, dans un mix étonnant, notamment sur son départ, très enlevé et brutal, à la Antaeus. C’est dynamique, profond et vraiment immersif pour le coup car les arrangements sont nombreux ; ils offrent à la structure un surcroit d’informations (les leads entêtants sur les premières minutes de Sainte Thérèse d’Avila, magnifiques, qui dressent une mélodie sublime ; la multiplication des lead mélodiques sur Louise du Néant).
Parsemées de samples d’appel au Seigneur, les titres sont la plupart du temps habités. Le tracklist apporte son lot de variations. Ainsi, dès Marie des Vallées, soit à la moitié de l’album, on repart vers des contrées plus mélodiques, plus apaisées même si la tension sous-jacente est toujours la norme. Sainte Hildegarde de Bingen et Sainte Marguerite de Cortone débutent de la même manière avec des riffs ultra ronds, presque prog’, un univers globalement éloigné du BM, baigné de nouveau d’une forme de sainteté mystique, comme un écho sur la structure. C’est pertinent et encore immersif tant on ne parvient pas de suite à saisir tous les aspects mis en avant.
Le Cloître est un album riche, très varié et qui mérite une écoute attentive. Pour l’amateur de BM éclairé, qui cherche de la nouveauté et des émotions diversifiées, ce nouvel album de Givre est une véritable aubaine.
17/20
Raziel