Comment parler d’un disque qui ne laisse aucune trace sur vous une fois terminé, alors que chaque écoute est une expérience particulière ? C’est le problème que je rencontre avec
Muuntautuja.
À chaque fois, j’y retourne, obsédé. Et à chaque fois, je peine à griffonner les émotions qu’il me procure, à éclaircir son noir fait d’oscillations. Les langages usuels de l’étouffant et du cosmique ne suffisent pas pour parler de cet équilibre qu’a – enfin – trouvé Oranssi Pazuzu entre ses racines black metal, son goût pour le psychédélisme, ses influences kraut et noise rock, ses incursions électro ou l’utilisation de ce piano aux mélodies classiques et graciles, aériennes, contrastant avec les profondeurs de l’ensemble comme un sas de décompression explosant un peu plus ma cervelle. Il y a pourtant du concret à présenter ici.
Muuntautuja ne joue pas de suggestion sur le plan musical, se montre tangible dès la corrosive « Bioalkemisti » ouvrant l’album. Il est pourtant un abîme où s’évader, silhouettant plus que figurant, les vibrations prenant vie et nous contemplant – l’artwork de Jenna Haapaharju est une indication bien meilleure que ce texte sur ce que j’éprouve durant ces quarante-trois minutes –, discernables et indicibles.
Ainsi, les formules-types comme « Dans l’espace, personne ne vous entendra pleurer » ne suffisent pas à décrire ce qui est ressenti ici, malgré que la piste ambiante concluant l’ensemble soit paradoxalement la plus évocatrice de sentiments humains (« Vierivä usva » et sa mélodie triste se construisant au fur et à mesure). Foutus Finlandais ! Il n’y a que ces habitants du bout du monde pour faire le saut de trop et le quitter tout à fait !
Mestarin kynsi marquait une rupture contrôlée, Oranssi Pazuzu se laissant aller à expérimenter et enrichir au sein de structures cadrées ;
Muuntautuja est la forme finale de cette évolution, la formation paraissant atteindre ce qu’elle a souhaité faire dès
Muukalainen puhuu : une musique alien, simplement extra-terrestre où il n’y a rien à comprendre et tout à ressentir, dans un mélange de torture des sens (la fin de « Voitelu » ; « Valotus ») et d’ébahissement. Le vide et sa fascination ; la vie que l’on devine en-dessous, fantomatique et proche ; la menace qui se teinte d’une mélancolie du petit face à la grandeur… Voilà ce que je traverse lors d’une écoute à chaud, la reprise de la vie quotidienne revenant à cette impression d’étrangeté dans le réel comme au retour d’un long voyage.
Celui-ci est pourtant court en durée – presque frustrant en cela. Mais Oranssi Pazuzu accomplit tant de choses sur le temps qu’il se laisse qu’il fait vite oublier l’amnésie qu’il créé pour donner envie de retourner vers lui. En cela, il rappelle d’autres œuvres, rares, comme
The Process de Sink avec lequel il partage une extrême étrangeté. « Extrême »,
Muuntautuja ne l’est pas formellement ; il l’est dans son alliance des contraires, ces éléments qui ne sont pas supposés fonctionner ensemble et avec lesquels il fait voir d’autres possibilités. Varié et homogène, altier et oppressant, sensuel et cérébral… Il est tout cela, dilatant le temps au point d’en perdre la notion.
Muuntautuja est un exercice d’équilibriste de chaque instant, frôlant le moment où il me laisse sur le côté sans heureusement ne jamais l’atteindre… Mais aussi, il possède une aisance à jouer avec ce numéro de funambule, chaque morceau étant bien distinct l’un de l’autre tout en restant cohérent avec l'ensemble. Il y a une narration qui guide ces huit titres, dont la voix de Jun-His pourrait bien être la conteuse – elle-même trafiquée et embarquée dans sa propre histoire (« Valotus » ; les incantations de « Hautatuuli »). Certes, la fin d’album, sauvée par l’enivrement que procurent « Ikikäärme » et « Vierivä usva », montre une magie qui s’étiole un brin, les enchaînements se faisant moins fluides qu’auparavant, comme une façon de dire que l’on ne sait pas comment boucler cette boucle aux allures de spirale. Un maigre défaut, pour un album qui ne cesse de posséder un mystère vers lequel j’aime revenir malgré de nombreuses tentatives pour le percer. Peut-être indéfiniment.
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