Avec ce split conjointement fomenté par les deux labels
Paroxysmal Disorders of Consciousness Records et
Abhorrent Creation Tapes, je pense mettre le doigt dans l’une des productions les plus
underground qu’il m’ait été donné de chroniquer. Mais l’occasion était trop belle, ce n’est pas tous les jours que l’on a la possibilité de découvrir six formations de
grind powerviolence, de
sludge ou de
noise. Et puis quelle pochette… Nous savons cette scène spécialiste des collages, celui-ci, redevable à
Paul van Trigt, vaut son poids en immondices, elle met immédiatement dans une ambiance de perversion DIY où angoisse et anxiété sont les maîtres-mots. Flippant.
Comme, je l’avoue sans honte et fort humblement, je ne connaissais aucune des formations ici réunies, je commencerai par un rapide tour de table afin d’introduire les forces en présence (en espérant ne pas trop me tromper sur les genres) :
•
MEDIATED FORM : Canada ;
powerviolence.
•
SIDETRACKED : États-Unis ;
raw fastcore.
•
IDIOT CHILD : Suède ;
sludge noise.
•
DECORTICATE : Danemark ;
grind.
•
FILTHCRAWL : France ;
grind.
Enfin, les parties respectives des cinq groupes sont entrecoupées des interventions
harsh ambient noise de
DECEIVER, projet solo de l’Américain
Matt Goodrich que les amateurs pointus de
sludge connaissent peut-être pour son travail au sein de
FENTANYL TAPWATER ou de
WATER TORTURE, davantage
grind et dont la caractéristique principale est de se composer de deux bassistes et d’un chanteur-batteur. J’ai parcouru rapidement, c’est une jolie branlée mais là n’est pas le sujet, entamons l’écoute attentive de ce disque corrosif (adjectif certes poncif, pourtant fort adéquat).
« Uncontrollable Negative Thoughts : Major Depressive Disorder » pose son climat anxiogène allant
crescendo vers le bruit blanc de la saturation, il faut peut-être le comprendre comme un espace de trauma sonore sans ambition autre qu’immédiatement instaurer une atmosphère de noirceur, si tel est le cas c’est réussi. D’autant que c’est
MEDIATED FORM qui prend la relève afin de présenter ses neuf titres. C’est foutrement cruel. Entre vingt-quatre secondes et une minute zéro neuf, il n’y a guère le temps de faire des ronds de jambe et les Canadiens balancent donc leur musique construite à base de gros
hardcore poilu malpoli (« In Search of Psychosis ») et de
grind powerviolence directement dans ton fondement étroit sans prendre la peine de lubrifier l’orifice. Il en résulte une sensation immédiate de douleur, néanmoins mêlée d’un certain plaisir à l’écoute de ces tempos propices au
two step (« Telos in Being »). Clairement pas le groupe de la décennie mais l’efficacité s’avère maximale, indiscutable. Je dois toutefois me passer plusieurs fois les titres pour bien les mémoriser, leur brièveté ne facilitant pas l’appropriation. Cependant, je précise qu’un tel argument ne remet à aucun moment la qualité des morceaux en question, si l’on n’est pas prêt à se faire marcher sur la gueule, ce n’est pas la peine d’écouter. Et bordel quel son de basse ! Ce split débute très fort avec neuf compositions jouissives qui laisseront derrière elles une légère odeur de napalm. Dans tous les cas, ceux qui succomberont aux charmes de
MEDIATED FORM tout en ressentant une pointe de frustration causée par la brièveté de ce passage pourront toujours aller se régaler des quatorze titres présents sur «
A Demonstration of Mankind’s Supremacy », sorti en 2019. Pour moi, une leçon de
powerviolence qui mériterait une chronique à part entière.
Les trente secondes d’« Abnormal Cognitive Patterns » passées à la vitesse d’un trou normand,
SIDETRACKED prend la relève et, là, même l’auditeur le plus attentif se demandera ce qu’il se passe. Quinze titres allant de quatre à vingt secondes, soit on crie au foutage de gueule, soit on hurle au génie. Moi, tiédeur incarnée vomie par la bouche du Christ, je me situe entre deux eaux. Certes, je n’arrive absolument pas à différencier les compositions, puisque leur logique est peu ou prou toujours la même en jouant sur l’alternance de deux sons bien distincts de guitares et, néanmoins, la brutalité ainsi que la rapidité des titres virent à une forme d’hypnose paralysante qui rend les Américains particulièrement fascinants dans leur démarche musicale. Evidemment, cela ne fera jamais les gorges chaudes des magazines branchouilles mais putain quelle purée ! Quelle radicalité ! Et, paradoxalement, alors que le groupe ne doit jouer en tout et pour tout que trois minutes, j’en ai pourtant assez, sentant que l’exercice, au-delà de cinq minutes, doit commencer à devenir difficilement supportable. Alors il faudrait certainement aller écouter ce qu’ils ont sorti en dehors de ce split car, par exemple, sur celui en compagnie de
FED ASH,
SHRIVEL UP et
IXIAS, leur titre éponyme dure près de quatre minutes et montre une toute autre facette, plus déconstruite, plus expérimentale, toujours aussi extrême, complètement baisée mais, finalement, peut-être guère moins supportable, le titre semblant finalement être un collage brut de cinquante morceaux mis bout à bout… Totalement étrange, à la limite du compréhensible voire de la décence,
SIDETRACKED ne laissera personne insensible, à défaut d’emporter l’adhésion. De mon côté c’est un oui prononcé du bout de lèvres, je n’exclus pas d’aller porter plainte pour absence de consentement dès le lendemain matin, si j’ai la rondelle qui brûle de trop. Il demeure que si le
raw fastcore proposé ici vous émoustille, leur Bandcamp semble afficher la totalité de leurs sorties (qui remontent au moins à 2001), le disque «
No Return » de 2025 étant particulièrement marquant, de même que la frénésie frôlant l’absurde d’un «
Escape » (2015). Sacré découverte, éprouvante.
« Peritraumatic Dissociative Amnesia » : je les apprécie ces transitions bruitistes, elles ont néanmoins un goût de trop peu, la brièveté frustrante d’une bonne idée non aboutie qui se termine en cul de sac.
Avec
IDIOT CHILD, je reviens sur des territoires davantage familiers, ceux du
sludge souillé au
noisecore et il est vrai que l’on a connu la Suède plus propre sur elle lorsqu’il s’agissait de proposer des trucs burnés. J’entends pas mal d’effets
flanger, de la distorsion à foison, nous pourrions penser à l’enfant bâtard d’
EYEHATEGOD et de
TODAY IS THE DAY, il est vraiment regrettable que la formation ait disparu en 2024 en ne laissant derrière elle que deux LP (le second étant paru l’année dernière) car, sans doute par facilité (connaître rassure), c’est probablement le participant qui m’a le plus marqué jusqu’à présent. Non pas que
MEDIATED FORM puis
SIDETRACKED aient démérité, c’est juste que par simple goût personnel il y a une noirceur intrinsèque à la musique des Suédois qui me séduit d’emblée. Quoi qu’il en soit, c’est encore une preuve que le
sludge, lorsqu’il est pratiqué à ce degré de malignité, est l’une des musiques les plus crasseuses qui furent inventées. Par conséquent, ces deux compositions ne m’ayant pas rassasié, je vais rapidement faire un sort à «
The First Breath is the Beginning of Death », édité chez
Bent Window Records, un label dont le catalogue mériterait d’être exploré.
« Constant Intrusive Flashbacks : Intense Emotional Disruptuion » : même constat. Une idée trop brièvement exploitée pour que j’ai quelque chose de pertinent à dire dessus.
C’est donc au tour de
DECORTICATE de s’exprimer, les Danois évoluant dans un style
grind plus conventionnel. C’est-à-dire que je les rapprocherais d’un
ROTTEN SOUND ou d’un
THE AFTERNOON GENTLEMEN. Il y a ce son croustillant que l’on affectionne tant ainsi qu’une énergie profondément urbaine qui positionne la bande au centre d’un parfait mélange de
grindcore ultra vénère (« Moral Defeatist » par exemple) et d’un
hardcore à l’ancienne qui pulserait brutalement. Si les mecs ne sont assurément pas les premiers de la classe, ce ne sont cependant pas les derniers pour foutre l’ambiance et il sera difficile de résister à leurs assauts belliqueux. Bordel, c’est bon ! Dommage que ce soit si vite fini, heureusement que les six titres de «
Decorticate Posture » puis les treize de «
Conditioned by Violence » permettent d’en apprendre davantage sur les Copenhaguois. Si je suis sous le charme ? Oui, ils me mettent le rose aux joues, telle la jouvencelle succombant aux premières ruades libidineuses de son prétendant à la proéminente turgescence.
« Excessive Cortisol Discharge » : ok, le son n’est pas loin d’être une illustration juste d’un pic momentané de stress mais pourquoi autant de brièveté ? Je suis sincèrement frustré car étant amateur d’
ambiant à mes heures, comme on aime à le dire dans les milieux bourgeois, le fait de voir cantonné (riz, la blague est cadeau)
DECEIVER à ce rôle de passe-plat me laisse sur ma faim, histoire de filer la métaphore culinaire jusqu’au bout.
Mais il est enfin l’heure de découvrir la France à travers la vision fulminante de
FILTHCRAWL. Ce dernier dispose de dix titres pour cracher son venin, fichtre ça arrache tellement ! De belles voix de gorges serrées, strangulées, des interludes hip-hop (« Hope ? A Slave’s Virtue »), sinon ce ne sont que de gros bastos dans la gueule et même si le côté
gangsta rap pourrait étonner le quidam, je trouve pour ma part qu’il fonctionne idéalement avec le registre des Lillois, où officieraient d’ailleurs d’anciens
SYLVESTER STALINE. Cela expliquerait le savoir-faire en matière de démembrement ultime… Sans chauvinisme aucun, peut-être ma performance préférée sur ce split de combat, performance qui m’a poussé à me régaler d’«
Organic Pessimism », unique sortie à ce jour, soit douze
headshots de la part du quintette. Pure branlée.
« Depersonalization. Derealization. Ruminations » : une outro bruitiste pour construire le parfait pendant à l’introduction, il reste que l’apport de
DECEIVER à ce split dégoulinant d’atrabile m’apparaît comme trop maigre au regard de la dose d’amphétamine injectée par les autres participants. Cela dit, en dépit de ma frustration à ne pas voir ces compositions
noise davantage développées, il reste que les utiliser en guise de transitions entre des formations toutes ultra brutales mais finalement foncièrement différentes est une excellente idée car elles apportent une dimension immersive, fournissant les quelques secondes nécessaires au cerveau pour gérer les changements.
Par conséquent, que dire de ce split qui suinte la haine de bout en bout ? Je craignais l’inécoutable, je l’ai eu, sauf qu’il y a plusieurs sortes d’inécoutables. Et la sorte qui est offerte dans ce «
Post-Traumatic Stress Dysfunction », elle régale. Déjà, il y a la volonté de proposer des formations qui, chacune à leur manière, offrent une déclinaison de l’extrême, y compris
DECEIVER bien que celui-ci mériterait d’être attentivement écouté à part. Ensuite, il y a la qualité de l’enregistrement qui rivalise avec les grosses pointures : le
mastering est signé
Brad Boatright (
DROPDEAD,
FULL OF HELL…) et ça, ça garantit un impact maximal sur nos maxillaires. Autrement dit, tu te prends le disque en pleine gueule, il n’y a que des groupes avec des poings américains au bout des instruments, c’est pensé pour briser des os. Enfin, il y a l’ordre dans lequel chacune des formations nous sont présentées, j’y ai trouvé une certaine logique, pas forcément croissante dans la brutalité mais les changements d’un style à l’autre sont finalement assez cohérents, le liant
noise entre les groupes s’avérant un ciment de premier choix. Rien à redire donc, le split se subit comme une bastonnade, une accumulation de coups qui atteindront tantôt le foie, tantôt la tête, tantôt les couilles, une collection de coups bas 100% nocifs qui a en plus le bon goût de se décliner en un magnifique support physique.
Allez, après de très nombreuses écoutes, je vais tenter d’établir mon classement provisoire par ordre de préférence :
1.
MEDIATED FORM, plus j’écoute et plus c’est une rouste.
2.
FILTHCRAWL, qui fait le taf dans un style « à la française » toujours efficace.
3.
IDIOT CHILD, en tête lors des premiers tours, les Suédois ont fini par chuter lorsque j’ai enfin pigé la nuisance sonore ultime que représentaient les autres.
4.
SIDETRACKED, dont le
fastcore m’a littéralement cloué sur place mais qui s’avère vite fatiguant.
5.
DECORTICATE qui voit le podium passer sous son nez par excès de classicisme mais qui sera le premier que j’irai chercher lorsqu’il me faudra des gars sûrs pour démolir un immeuble ou enfoncer une mêlée.
6.
DECEIVER, il avait une carte à jouer mais le manque de finitions le pénalise trop. De toute façon, il n’était pas là pour concourir et sans sa présence, ce split n’aurait pas eu la même saveur.
Par Lestat
Par Sosthène
Par Keyser
Par Sosthène
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Par Deathrash.
Par Ikea
Par Sosthène
Par gulo gulo
Par gulo gulo
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Par Jean-Clint
Par gulo gulo
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