Ceci est l’ultime album de Liturgy.
Il ne peut pas en être autrement. Le projet paraissait déjà chercher à poser un point final à ses expérimentations sur
H.A.Q.Q., œuvre à la musique stagnante, synthétisant des expérimentations antérieures pour les parfaire plutôt que les enrichir.
93696, lui, dévore la discographie des Ricains, prend des motifs rencontrés auparavant pour les moduler, en faire une matière neuve, la transformation comme objectif.
Il y a en effet peu de nouveautés ici. Il n’y en a pas besoin, quand on a autant défriché de territoires, black metal, screamo, mathrock, glitch, néo-médiévalisme. Liturgy reste l’une des formations les plus originales – à-part au point d’être méprisée par une grande partie de la scène metal, nettement plus compréhensive envers d’autres innovateurs restant dans un champ bien circonscrit et approuvé – que l’on puisse rencontrer aujourd’hui. Le plaisir se tire de la modification, de retrouver des mélodies jouées sous un autre angle (la tracklist ne laisse aucun mystère sur le sujet, avec ses suites ou réinterprétations assumées), les quelques trouvailles propres se mariant à l’ensemble pour former un nouveau tout.
De là à penser que Haela Ravenna Hunt-Hendrix affirme ici sa propre transition physique, il n’y a qu’un pas. Liturgy a toujours été son vecteur, l’expression de sa pensée faite musique – peu importe que l’on adhère ou pas à ce qu’elle a pu dire. « Iel » touche désormais le ciel, androgyne ayant atteint une certaine paix et majesté au moins dans son expression artistique.
93696 reste d’une abrasivité et d’une intensité rares – il suffit d’écouter « Caela » et ses larmes angéliques lancées dans la bataille pour s’en convaincre – ; il n’en atteint pas moins une certaine perfection de forme apportant un sentiment d’apaisement. La justesse de la cause, envers et contre tout, guidée par une beauté possédant la violence des révélations : voici ce que l’on ressent durant plus d’une heure, malgré des détours jouant l’accalmie (La quadrilogie des « Angel of Sovereignty / Hierarchy / Emancipation / Individuation »).
93696 appuie en long et large cette affirmation, celle d’être arrivée au bout d’un chemin. Au-delà des questions de réappropriation de ses propres créations, Liturgy inscrit une pléthore de moments définitifs dans cet objectif de donner à une base black metal une aura pure et transcendante : « Djennaration » et ses envolées sauvages ; les spoken-words spirituels de « Haelegen II » ; les stridences devenant ritournelles de derviche-tourneur de « Ananon »; les mouvements semblant raconter une histoire de bataille au sein du paradis du morceau-titre ; la sérénité qui guide le dernier tiers de l’ensemble même dans le déluge de « Antigone II »… Les soulèvements du cœur sont nombreux, les Ricains ne nous ménageant pas dans leur radicalité bien à eux, presque autistique tant elle présente tout d’emblée sans jamais chercher l’alternative, simplement la variété au sein d’un même geste.
C’est presque trop. Honnêtement, cela l’a été pour moi pendant plusieurs mois, trouvant que
93696 n’avait pas la même constance dans la splendeur qu’un
Aesthethica. La faveur d’une envie forte de lumière dans mes pérégrinations esthétiques m’a permis de ressentir la maestria de cet album, angélique, émancipé de toutes catégories, armant son affirmation d’un glaive irradiant de blancheur. Il y a bien quelques flottements, notamment dans certaines pauses qui s’accumulent. L’esprit divague, se trouve moins sous le joug de Haela Ravenna Hunt-Hendrix et son acclamation de soi. Car c’est cela que donne aussi l’impression d’être ce dernier longue-durée ; c’est cela qui lui donne aussi sa force ou, selon l’empathie et l’intérêt de chacun pour le projet, sa faiblesse : le sentiment de voir un(e) artiste arriver au terme de son discours, jouer avec et s’en libérer. Ceci ne peut être que l’ultime album de Liturgy, une fin heureuse, victorieuse, où après il n’y a qu’à profiter de l’émerveillement qu’elle procure. Du moins, c’est ce que j’espère.
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21/04/2025 10:42