Faisant suite à un premier album paru en 2021 et contenant six titres nommés en chiffres romains, les Lillois de
KORSAKOV prolongent leur concept avec «
Anosognosia », nouveau LP qui va nous raconter les chapitres allant de « VII » à « XIII ». Peu de mouvements à signaler, le duo reste un duo, la musique reste du
post black metal, il n’y a guère que le label qui change puisque
A. et
E. sont désormais hébergés par
Source Atone Records, label que l’on commence à bien connaître en ces pages (
MAUDITS,
VIRGIL,
USQUAM) et dont j’apprécie de plus en plus le positionnement artistique, jouant beaucoup sur une forme de raffinement tant musical que visuel, pour ne pas dire intellectuel. En effet, rien qu’avec le titre de cette deuxième sortie, nous enrichissons notre vocabulaire, l’anosognosie étant un trouble neuropsychologique, une incapacité à prendre conscience de ses propres déficits (une maladie, un handicap, etc.). On a connu plus basique comme concept, il reste juste à espérer que la musique soit à la hauteur des mots.
La blancheur immaculée de la pochette ne sera pas un leurre visant à jouer sur l’oxymore d’un angélisme de façade souillé par une musique obscure. Non, étrangement, j’entends ce que je vois, je vois ce que j’entends, à savoir du
post black, certes, mais empreint d’une langueur, d’une mélancolie présente même dans les instants les plus agressifs (« IX »), peu nombreux au demeurant. Enfin, tout dépend où l’on place le curseur. J’entends que la voix est évidemment hurlée, que les guitares sont lancinantes, que les tempos peuvent monter dans le rouge mais, malgré cela, je ressens toujours une espèce de baume apaisant au travers des notes, un cataplasme rassurant posé sur une trop grande douleur. Difficile à décrire… Difficile également d’extraire un titre plutôt qu’un autre, de signaler un temps plus marquant, une trouvaille, une accroche, car tout l’album baigne dans une atmosphère cotonneuse où les compositions se ressemblent comme des dizygotes, elles ont l’air identiques si l’on ne fait pas un effort d’attention (même rythme, même chant, même
riffing, mêmes accalmies, mêmes nappes de claviers) mais dès lors que l’on s’immerge un peu plus profondément dans «
Anosognosia » de subtiles variations apparaissent, un moment plus doux, un instant plus tragique, un passage plus dur, un regard plus tendre, un geste plus violent, et c’est alors dans ces subtilités aussi ténues qu’un fil de soie que la poétique de
KORSAKOV se dévoile pleinement.
Un esprit chagrin pourra toujours trouver cette approche du
black metal trop axée sur une espèce de romantisme que les nombreux claviers et arpèges soulignent régulièrement, évidemment nous sommes à mille lieux des forêts enneigées et du blasphème, mais l’on n’écoutera pas le duo pour cela. Non, il résonnera pour la grandeur du riff introductif de « VI » dont la simplicité des notes sait toucher l’
anima en nous, faire vibrer une corde sensible que nous n’avons que trop peu l’occasion de solliciter. Nous le remettrons parce qu’il pleut, parce que la maladie et la mort, parce que l’angoisse et la tristesse, parce que les larmes peuvent aussi être de joie. Cependant, quand bien même j’ai pu être extrêmement touché par la finesse, de la véritable dentelle, de ces sept morceaux, je reconnais toutefois avoir parfois du mal à distinguer les chapitres car j’ai le sentiment que ce sont toujours les mêmes notes agencées légèrement différemment mais qui bouclent sur elles-mêmes. L’avantage, c’est que l’album est d’une homogénéité rare, un cocon, l’inconvénient c’est que les quarante minutes manquent un peu de surprises, et nous arrivons alors face au choix de Sophie : préfère-t-on un disque inégal mais qui contiendrait des pics d’inventivité ou un projet à la plastique parfaite, donc sans aucune aspérité d’où pourrait naître l’étonnement ? Il me faudra peut-être des années pour répondre à cela mais là, sur le papier, j’ai envie qu’«
Anosognosia » m’accompagne encore quelques temps, en compagnon de marche muet dont la rassurante présence suffira à adoucir mon chemin, alléger le poids de mes maux.
2 COMMENTAIRE(S)
25/04/2025 12:19
25/04/2025 11:40
Tes mots "post black, certes, mais empreint d’une langueur, d’une mélancolie" font écho à mon ressenti "Black dépressif". Quant au côté "atmosphère cotonneuse où les compositions se ressemblent", cela rejoint les dires du festivalier qui regrettait l'aspect "un peu trop linéaire".