Si
ENTERRÉ VIVANT est référencé sur
Thrashocore, ce n’est pas parce qu’un célèbre chroniqueur masqué me soudoie en m’envoyant des photos salaces ou du
hentai. Plutôt parce que
« Shigenso », l’album précédent paru en 2023, avait fait l’unanimité chez toute personne l’ayant écouté ne serait-ce qu’une fois. Alors cela ne transparaît pas forcément en ces pages puisqu’aucune note de lecteurs ou d’autres webzines ne vient étayer cette affirmation mais, dans mon entourage, la découverte s’est systématiquement conclue par une commande auprès d’
Antiq Records et il en va de même (n’est-ce pas
Ludwiglio ?) pour «
Akuzaï » (
zaï-zaï-zaï aurait renchéri le facétieux Joe Dassin), le nouveau longue-durée pensé par l’indissociable paire
Sakrifiss (concept, textes, chant) /
Erroiak (instruments, chant).
Ceux qui suivent un peu l’actualité du site ont déjà pu en apprendre long sur le LP,
l’interview récemment donnée par le groupe nous ayant permis de tout savoir sur les thématiques abordées ainsi que sur la structure même de l’offrande : une intro, deux compositions, un intermède, deux compositions, un intermède, deux compositions, une outro. 1/2/1/2/1/2/1. Les mots et les images restent pourtant encore insuffisants pour comprendre la musique même si, et c’est un aspect que j’apprécie particulièrement chez
ENTERRÉ VIVANT, je ressens systématiquement le besoin de m’immerger un instant dans l’ambiance et le visuel avant d’entamer l’écoute. Et là… La pochette est d’une telle beauté… La vie et la mort bien sûr, la mort et l’amour aussi, l’amour et la vie également, tu peux lui apposer une symbolique, juste y voir l’illustration de l’éternel retour des conflits, le groupe quant à lui ne cherchant pas à psychanalyser son inspiration : la Deuxième Guerre Mondiale vue à travers le prisme des victimes civiles japonaises. Ce récit se décline au travers des dix péchés du bouddhisme : le meurtre, le vol, la luxure, le mensonge, la calomnie, l’injure, les paroles inutiles, la convoitise, la méchanceté, les vues fausses. Nous on en a que sept pour définir l’universalité de l’ordure.
Je n’ai jamais été grand amateur de l’exercice du
track by track cependant, étant donné les deux ensembles distincts qui constituent «
Akuzaï », je vais d’abord me focaliser sur les quatre intermèdes avant de m’intéresser aux six compositions. En temps normal, j’aurais eu tendance à me plaindre que ces entractes soient trop nombreux, qu’ils n’apportent rien, commentaire effectivement valable dans 80% des cas. Mais ici, nous sommes dans les 20% pertinents car, d’une, chacun illustre l’un des dix péchés mentionnés, jouant ainsi un rôle équivalent au pendant
black du disque bien que sous une forme moins conventionnelle, de deux ils incarnent le liant, le ciment qui renforce le concept et lui donne toute sa portée historique. À ce titre, quelle meilleure introduction que « Jaken » (la bêtise) où l’on peut entendre le discours de l’empereur japonais (Hirohito, si je ne fais pas erreur) au moment d’entrer en guerre ? Ensuite, « Waruguchi » est une superposition d’insultes en japonais. Cela aurait pu s’avérer trivial, le résultat donne juste le sentiment qu’un
yōkai te souffle à l’oreille, Akaname par exemple, le monstre des salles de bain, qui te passerait sa grande langue dans les esgourdes pour se nourrir de leur saleté… Moi ce titre il me colle un peu la pétoche pour tout dire, le slip n’est pas resté indemne. Mais pas autant que « Môgo » dont la narration pleine de souffre est assurée par
Athena Nahkriin Halphas, espoir de la scène extrême en recherche de partenaires de jeu. Son timbre vocal, aussi spécifique que potentiellement clivant (car il détonne fortement), n’aura finalement qu’un seul défaut à mes yeux : celui de ne pas se faire entendre assez longtemps (une grosse minute), reproche que je pourrais d’ailleurs faire à l’ensemble de ces interludes : leur brièveté s’avère parfois frustrante, même si « Ryôshita » avoisine les trois minutes, ce dernier fonctionnant comme le parfait générique de fin de cette tragédie humaine mise en musique.
La place prise par ces quatre tranches de vie ne doit cependant pas occulter le cœur de l’album : le
black metal atmosphérique ? Oui, plus que jamais mais sans pour autant être une simple redite de la sortie précédente. Déjà, ne serait-ce qu’au niveau des instruments traditionnels utilisés, si ce sont peu ou prou les mêmes qu’avant, leurs usages et donc leurs sonorités sont foncièrement différents. Autrement dit, nous retrouvons le style si particulier de la formation mais rehaussé de subtiles variations qui ancrent le duo dans une volonté de mouvement, d’évolution… Cela, c’est pour les aspects « folkloriques » si je puis dire : ils sont discrets, subtils, toujours à propos, tout du moins pour mon conduit auditif de vil béotien. Mais
ENTERRÉ VIVANT c’est avant tout du
black, et du bon. Voire du très bon, si tant est que nos attentes ne se focalisent pas sur l’agression constante ou la démonologie. Il faut le rappeler, personne n’écoute ce genre d’albums pour sa virulence, son agressivité et s’en plaindre serait un contre-sens. Si tu veux de la violence, change de fournisseur.
Là encore, le propos va se montrer aussi varié que cohérent. Ainsi, « Chûtô » marque d’emblée l’esprit grâce sa forte charge émotionnelle. Le riff à la deuxième minute et toute la montée qui suit sont tout simplement grandioses, les voix se faisant alors pleurs et lamentations, grincements de dents. Instant perturbant, à la frontière du lacrymal si tu traverses une phase dépressive. Un morceau Yin ? Mis au regard du suivant, « Sesshô », frondeur et semblant puiser ses racines dans le
BM symphonique des années 90, oui. Si « Chûtô » est le Yin, « Sesshô » sera son Yang, ces deux compositions accolées pouvant fonctionner comme les principes féminin et masculin. Il faudrait peut-être que j’arrête de chercher à caser de la symbolique orientale un peu partout moi, ça frise le ridicule…
Une fois que l’on a bien intégré la structure de ces deux chansons, le reste coule de source : prépondérance de tempos lents ou médiums, agrémentés de longues plages mélancoliques (le dernier tiers de « Jain » par exemple, absolument sublime), omniprésence des claviers (symphoniques dans « Sesshô » ou « Shin'i », progressifs dans le
break central de « Jain », quasiment religieux en introduction de « Don yoku ») avec toujours ce souci du détail, le désir presque charnel d’écrire un plan surprenant, original, disruptif, pour chacune des compositions. Ce peut-être un élément musical, tel qu’un pont inattendu, un instrument inusité, comme un élément vocal (des pleurs, une narration, un chœur épique, une voix croassant à l’image de « Don yoku » où le chant se mêle à celui des oiseaux), dans tous les cas jamais superflus. En fait, il n’y a guère que « Shin'i » qui me séduit moins, peut-être à cause de son riff trop quelconque en début de piste mais cette unique réserve est bien vite balayée par « Kigo » à qui je trouve des faux airs de
SUMMONING, japonisant évidemment, et puis l’idée d’inclure un prélude de Chopin à 04:20 (on parle de
NTM dans l’interview) avant de repartir sur un tempo lancinant, c’est du grand art. S’il s’agit de ma composition favorite ? Probablement, avec « Chûtô » dont les langueurs automnales imprègnent durablement l’âme.
Enfin, que serait un album d’
ENTERRÉ VIVANT sans ses voix si particulières ? Nous le savons, elles divisent et c’est vrai que même pour du
black metal certains choix de tonalités peuvent rebuter l’oreille. Cependant, ce sont ces lamentations, ces dérapages dans les aigus, ces croassements qui font une partie de l’identité du groupe, sa spécificité, sachant qu’ils restent minoritaires par rapport à un chant hurlé plus traditionnel et donc moins sujet à débat. Quoi qu’il en soit, peut-être plus encore que sur «
Shigenso », le mélange des cultures franco-japonaises me paraît ici atteindre son climax, tant sur les aspects musicaux que textuels (et donc vocaux), tout en faisant du duo une réelle singularité au sein de la riche scène
black atmosphérique.
Un grand disque par conséquent à qui je ne mets pas neuf pour deux raisons : la première, paradoxale, vient du fait que j’aurais apprécié des interludes plus longs. Comme dans tout documentaire, on apprécie lorsqu’il y a un équilibre entre les images d’archives et l’analyse théorique. Ici, compte-tenu du concept, je pense que chaque transition aurait mérité une ou deux minutes supplémentaires pour qu’elles deviennent des morceaux expérimentaux à part entière plutôt que de simples sas de décompression. La seconde, c’est « Shin'i », ou plutôt le riff à une minute de « Shin'i » que je trouve vraiment en-deçà du reste de l’inspiration sinon sans faute du LP. J’ai dit que c’était un grand disque ? Oui ? Je le redis quand même, des fois que tout le monde ne suive pas.
5 COMMENTAIRE(S)
06/06/2025 12:07
Malci à vous Sakrifiss et Erroiak (avec qui j'ai pu discuté lors d'un rassemblement d'adorateurs de musique énervée sur un bateau).
Version CD ou vinyle ?
Bonne réception du coup !
Version CD qui tarde à arriver
Si c'est Bandcamp, c'est Erroiak, mais si c'est le label, je peux demander si tout a été envoyé !
06/06/2025 11:44
Malci à vous Sakrifiss et Erroiak (avec qui j'ai pu discuté lors d'un rassemblement d'adorateurs de musique énervée sur un bateau).
Version CD ou vinyle ?
Bonne réception du coup !
Version CD qui tarde à arriver
04/06/2025 18:54
Malci à vous Sakrifiss et Erroiak (avec qui j'ai pu discuté lors d'un rassemblement d'adorateurs de musique énervée sur un bateau).
Version CD ou vinyle ?
Bonne réception du coup !
03/06/2025 19:44
Malci à vous Sakrifiss et Erroiak (avec qui j'ai pu discuté lors d'un rassemblement d'adorateurs de musique énervée sur un bateau).
02/06/2025 13:02