Hexen avait fait très fort en 2008 avec son premier véritable album
State Of Insurgency, tout simplement l'un des meilleurs disques de thrash de ces dernières années. Une merveille combinant old-school attitude, agressivité et mélodie qui m'avait rendu dingue. Et il aura fallu attendre quatre ans pour que les Californiens donnent enfin un successeur à ce joyau. Tant mieux d'un côté, cela veut dire que le groupe a peaufiné son nouvel album. Toujours mieux que de se ruer en studio pour tabler sur un relatif succès. On retrouve donc avec grand plaisir nos quatre thrashers avec toutefois un léger changement puisque le guitariste James Lopez a laissé sa place à l'ex-Exmortus Artak Tavaratsyan qui vient grossir les rangs des membres d'origine arménienne. Hexen a également gravi un échelon en terme de label puisque de OSM Records, le combo de L.A. passe chez les excellents Pulverised Records.
Le contexte étant posé, je dois dire que
Being And Nothingness m'a causé beaucoup de soucis. À tel point que j'ai été très déçu par mes premières écoutes. C'est que je ne m'attendais pas à ça et que j'ai mis du temps à me rendre compte de sa valeur. Car Hexen a évolué et a pris une nouvelle direction qu'illustre merveilleusement la pochette splendide de Necrolord. On reconnaît la patte du groupe, notamment par les vocaux éraillés d'Andre Hartoonian, et il s'agit toujours de thrash. Mais la formation va bien plus loin que ça ici en développant l'un des aspects qui faisait déjà le charme de
State Of Insurgency, la mélodie. Attendez vous donc à un opus non seulement très mélodique mais aussi progressif, comme si Megadeth croisait le Death des mid-90s. Alors forcément le côté fonceur et violent du thrash de base en a pris un coup. L'amateur de tchouka-tchouka que je suis s'est retrouvé sevré. C'est sans doute pour cette raison que la déception fut le premier sentiment qui m'a envahi. Moins rapide, plus modéré. Moins centré sur le bourrin, plus sur l'atmosphère (il n'y a qu'à voir l'utilisation régulière quoique jamais envahissante de claviers) et l'émotion (belles mélodies, nombreux passages acoustiques...), à l'image de "Macrocosm", introduction calme et posée toute en ambiance. J'ai ainsi trouvé
Being And Nothingness mou et chiant, la production froide et clinique n'aidant pas beaucoup non plus.
Ça, c'était avant. Avant qu'au fil des nombreuses écoutes, l'album distille en moi son venin addictif et que ses défauts deviennent des qualités. La production colle après tout parfaitement avec l'atmosphère sombre et froide, parfois même triste et mélancolique, ainsi qu'avec les thématiques plus philosophiques que d'habitude dans le thrash. Et puis, ce n'est pas comme si tout l'album naviguait pépère en mid/down-tempo. Si la vitesse de jeu a en effet été réduite, les Américains laissent encore pas mal de place pour des accélérations bien senties. Des titres comme "Private Hell" et "Walk As Many, Stand As One" (et ses chœurs jouissifs) sont d'ailleurs bien thrash et rapides dans l'esprit. Mieux, certains passages font partie des trucs les plus brutaux jamais composés par le groupe comme quand Carlos Cruz, depuis parti se concentrer sur son autre groupe Warbringer, balance quasiment des blasts sur "Private Hell" et "Nocturne". Sur ce dernier, on n'est pas loin du death metal entre la première et la quatrième minute avec un riffing très sombre et une rythmique énervée. Des séquences de jeu minoritaires mais jubilatoires. On appréciera aussi les riffs plus simples et directs qui appellent au headbanging frénétique ("Defcon Rising" à 1'09 et 5'04, "Walk As Many, Stand As One" à 0'16, "Stream Of Unconsciousness" à 0'57, "Indefinite Archetype" à 0'54 et 4'37 ou le début de "The Nescient"). Un peu de groove ça ne fait pas de mal!
Pas si mou que ça finalement! Mais la rythmique n'est pas ce qui a fini par me scotcher. Car il est un domaine que Hexen maîtrise davantage. Les riffs sont souvent inspirés, intéressants et mélodiques mais c'est bien en matière de leads que le travail accompli impressionne. En bon fan de heavy metal, les solos ne pouvaient pas me laisser indifférent. Niveau leads,
Being And Nothingness est tout simplement ce que j'ai entendu de mieux ces dernières années avec le premier album solo de Jeff Loomis ou le dernier Riot. Une putain d'orgie qui a su trouver le juste milieu entre démonstration de virtuosité (sweeps, shred, tapping) et de technique (contrepoint, harmonie, dissonance...) et feeling mélodique (mémorabilité et émotion). Le sens de la mélodie développé ici laisse rêveur et fait passer un message à tous les autres groupes: pas la peine de vous fatiguer à composer des solos cette année, ils paraîtront tous ridicules en comparaison. Inutile de faire une liste car tous, je dis bien tous, devraient s'y trouver, le duo Ronny Dorian/Artak Tavaratsyan faisant des merveilles à chaque fois. On pense à Marty Friedman, Chuck Schuldiner, Jason Becker, la grande classe quoi!
Parachèvement de la maîtrise collective et du talent de composition de Hexen, le dernier morceau "Nocturne" mérite un paragraphe à lui seul. Divisé en huit parties alternant violence et accalmie sur près d'un quart d'heure, "Nocturne" est un putain de chef d'œuvre, une pièce maîtresse absolument fantastique qui nous emmène très haut dans le paysage cosmique de l'artwork et vaut à elle seule l'achat de l'album. "Nocturne" s'ouvre sur une guitare plaintive triste à pleurer (merci Chopin!) à laquelle viennent s'ajouter quelques accords acoustiques. La tension monte avec les coups de grosse caisse répétés de Carlos Cruz jusqu'à ce qu'un piano néoclassique marque le début d'un long passage thrash énervé et dark proche du death. Puis solos et leads mélodiques en tout genre, ça fuse de partout avant qu'une longue et magnifique partie acoustique vienne calmer les esprits. Nouveau festival de leads grandioses, re-bourrinage, solos dans tous les coins avec même un solo de basse à 9'22, dissonance, break atmosphérique, acoustique, claviers d'ambiance, riff headbangant et fin ultime sur un solo orgasmique. Bref, le pied total pour l'un des meilleurs morceaux de metal jamais composés. Oui, rien que ça! Et celui-là, je n'ai pas mis une dizaine d'écoutes pour le savourer!
Comme quoi, j'ai bien fait de persévérer.
Being And Nothingness est de ces albums qui mettent du temps à se révéler et faire de l'effet. D'abord déçu - il faut dire que ce nouvel opus tant attendu d'Hexen se montre extrêmement riche et marque une évolution mélodico-progressive pas évidente à digérer - j'en suis maintenant accroc, même si je n'aurais pas dit non à davantage de vélocité. Je garde d'ailleurs toujours une préférence pour le plus direct et purement thrash
State Of Insurgency mais impossible de résister au travail de composition époustouflant abattu par la formation californienne qui force le respect. Si toutefois vous ne jurez que par le thrash primitif, fuyez face à une telle abondance de mélodies et au manque de vitesse et d'agressivité. Pour ceux qui n'ont rien contre le thrash classieux et élégant par contre,
Being And Nothingness se pose en indispensable avec une place dans le bilan de fin d'année déjà assurée. Hexen confirme avec brio qu'il fait partie des meilleures jeunes formations à l'heure actuelle car il ne se contente pas d'appliquer à la lettre les règles établies 30 ans plus tôt et de recracher bêtement ses influences dans sa musique. Il y jette son âme. Et quand on a un tel talent, ça ne peut que donner quelque chose de grand.
3 COMMENTAIRE(S)
13/12/2016 21:58
Et puis Nocturne quoi. Tu en as très bien parlé, cette piste est monstrueuse. Pris en isolation, une des meilleurs chansons que j'ai eu l'occasion d'écouter.
08/06/2012 12:50
02/06/2012 00:17