16 - Zoloft Smile
Chronique
16 Zoloft Smile
Cliché poétique de chroniqueur numéro 2346 : « tel groupe / tel album / tel style, c'est la vie ».
Bien sûr que non, tout cela n'est pas la vie. Et heureusement ! Ça vous titille, vous, d'écouter une musique qui rappelle les grands moments d'ennui ou de tranquillité quotidiens, avec quelques brefs, toujours trop brefs, instants où quelque chose se passe, une idée, une émotion forte, que sais-je ? La musique, quand elle est bien faite, est d'un autre acabit : un divertissement qui devient un fantasme, une vision de ce que pourrait être un vécu dans une certaine forme de paradis (ou d'enfer pour nos amis masochistes). Ce n'est pas la vie. C'est bien mieux que ça.
Il est tentant de faire de Zoloft Smile un album qui est « la vie ». Désir compréhensible, tant Cris Jerue et sa bande se font le miroir d'une certaine réalité. Il suffit de voir cette pochette, abandonnant les hallucinations d'autrefois pour une cruelle, concrète, peinture de la rue et ce qu'elle chie d'êtres humains en bout de course. Contenant au diapason du contenu, fait de riffs bétons, voix grise, structures qui traversent en dehors des clous et breaks qui attendent en bas des immeubles une clientèle prête à se recroqueviller dans des décharges, celles en périphérie des villes comme celles qu'on prend pour oublier que tout est dur. Bagarre externe et interne, cris, douleurs, os qui craquent, mains qui couvrent la tête quand un souvenir traumatisant enfonce la porte de notre esprit... Il est tentant de faire de Zoloft Smile un album qui est « la vie », la nôtre, la leur, celle de tous, tant il transpire une certaine rage, un certain pic d'intensité, où il ne s'agit plus de tourner autour du pot mais de déverser toute la merde qu'il contient sur soi et les autres.
Mais non, tout cela n'est pas la vie. J'aimerais qu'elle le soit, qu'elle soit cet incendie des corps et des pensées, qu'elle soit incandescente comme ici, qu'elle me laisse cramé, si brûlé qu'elle fait de mes yeux des vitres, regard coupant, intentions translucides. Zoloft Smile, puisqu'il faut bien le définir, est un roman, une construction de plus, mais brillante, type polar noir contemporain. Une fiction d'hommes, qui s'adresse aux hommes. Une lecture à faire au tord-boyaux, du genre qui rappelle l'origine de l'expression. Le disque qui me fait oublier que je suis Tristan, la trentaine, homme gentil dans une vie sage. Qui me fait rêver à une autre possibilité, par transfert. Comme un bouquin de Tim Willocks. Comme un bouquin de Harry Crews.
« Damone », « Born to Lose », « Workplace on Fire », « Hearing Voices », « You're Not My Real Dad »… Tant de chapitres qui racontent les égouts, qui font le diaporama de cités que je ne verrai jamais, m'offrent une vision globale de déambulations urbaines mieux que n'importe quelle cartographie, me font ressentir une détresse sociale et intime mieux que n'importe quel psycho-sociologue. Aucun doute, 16 a toujours œuvré à narrer ces sujets-là et, toujours, il l'a fait avec un talent certain. Mais Zoloft Smile, avec ses industries qui se devinent au loin, sa rythmique au poil comme une journée « métro-boulot-dodo », ses punchlines qui ont la puissance métallique d'une gouttière utilisée comme batte, ses mélodies cassées, stridentes, anguleuses comme des appartements de banlieue si ternes et proches les uns des autres qu'aller en prison se voit comme un déménagement... Zoloft Smile est un peu plus que tout cela.
Bref, ces quelques mots pour dire que la musique, ce n'est pas la vie, et que, décidément, c'est bien dommage. Car l'on sent à l'écoute de Zoloft Smile une similitude, au fond, un sentiment de fraternité donnant envie d'être comme ses protagonistes, ses anti-héros humains-trop-humains. Pas de bol, nous, on est de l'autre côté, dans la vie, à faire avec. Je vous laisse, j'ai des fiches de lecture à synthétiser et de la vaisselle à astiquer.
| Ikea 17 Juillet 2017 - 1532 lectures |
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7 COMMENTAIRE(S)
citer | L'authenticité sociale acerbe
Un fondamental |
citer | Une raclée historique, tu veux dire. |
citer | Je ne suis pas étonné ; je les ai vus il y a bien des années dans la cave de ce qui n'était pas encore le Black Sheep et ils nous avaient mis une bonne fessée. Pourtant je commençais à être blasé en matière de Sludge, Noise et compagnie. |
citer | Sacrée plume le père Ikea! Bon album (mais pas aussi enthousiaste que toi) |
citer | Ikea 17/07/2017 17:14 | note: 10/10 | Tente les autres alors ("Drop Out" en particulier), ils peuvent te plaire ! |
citer | Bon vu que t'as mis 10/10 j'ai dépassé mes a priori et écouté l'album en entier et....
Ben en fait le sludge ça peut ne pas être chiant comme un jour de pluie.
Mention spéciale aux vocaux qui sont à 90% dans le fait que j'ai pu écouter tout le disque et même apprécier. |
citer | AxGxB 17/07/2017 13:35 | note: 9/10 | Probablement leur meilleur album en ce qui me concerne. Un disque sacrément costaud et d'une noirceur absolue. |
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7 COMMENTAIRE(S)
06/06/2020 21:48
Un fondamental
21/07/2017 14:13
21/07/2017 13:28
17/07/2017 20:17
17/07/2017 17:14
17/07/2017 15:07
Ben en fait le sludge ça peut ne pas être chiant comme un jour de pluie.
Mention spéciale aux vocaux qui sont à 90% dans le fait que j'ai pu écouter tout le disque et même apprécier.
17/07/2017 13:35