« Il y a des moments où on n’écoute pas de musique – mais elle est toujours là, dans notre esprit. Notre passion commune ne nous quitte jamais et, parfois, on la retrouve lors de moments inattendus. Cela peut être au détour d’un film, d’un livre, d’un jeu vidéo, à la vision d’un paysage ou même d’une simple couleur. Cette nouvelle rubrique souhaite aborder ces instants, quand, par hasard, une œuvre fait ressurgir un riff, une ambiance, à notre mémoire... »
Et quoi de mieux pour commencer que Elden Ring, nouveau jeu vidéo de From Software ? Réputé pour son gameplay exigeant ou encore ses univers labyrinthiques, aussi bien architecturalement qu’au niveau du lore, le studio a souvent évoqué le metal dans ses créations, la franchise Dark Souls et ses visions monumentales d’un médiévalisme torturé et les horreurs lovecraftiennes de Bloodborne en guise de meilleurs exemples. Il paraît naturel d’aborder ici sa dernière création – la plus riche à ce jour – tant elle rappelle par sa direction artistique foisonnante des illustrations et des atmosphères âpres et hallucinées déjà explorées dans le metal auparavant. Voici donc une petite sélection des sensations synesthésiques qu’a créé ce jeu vidéo.
Disillusion – Back to times of splendor
Ce qui frappe dès les premières heures de ce jeu interminable est l’immensité du monde proposé. Une immensité marquée par une liberté quasi-totale laissée au joueur d’explorer quand bon lui semble les terres devant lui, un château au loin accessible dès le départ, une montagne à gravir recelant de secrets. Elden Ring déboussole – au sens propre, tant les propositions sont nombreuses – mais parvient à conserver un souffle épique malgré une construction enchevêtrée et déstabilisante. Un feeling qui m’a fait directement penser à cet album de Disillusion, ses compositions riches et surprenantes, indomptables, mais gardant constamment cette ambiance de terres parcourues au galop, l’allure chevaleresque ne cachant pas les nombreux tourments intérieurs et extérieurs prêts à surgir. Sans-éclat arrivant à Limgrave, terre évoquant une esthétique germanique moyenâgeuse, impossible de ne pas entendre les première note du morceau-titre de « Back to Times of Splendor » résonner, l’envie de parcourir les plaines au cœur.
Hooded Menace – Ossuarium Silhouettes Unhallowed
Au détour d’un flanc de montagne, vous trouvez une porte en bois que rien n’indique. Vous pénétrez dans l’antre, et découvrez un donjon oublié, quelques lumières éclairant des pierres sombres taillées dans la roche même. Vous descendez, vos pas clapotant dans des matières liquides et spongieuses, jusqu’à atteindre une vaste salle offrant des chemins variés – tous peu engageants. Des formes spectrales visibles au loin, des lueurs bleutées permettant d’entrapercevoir les restes de cadavres déambulant lourdement ainsi que des débris d’une sorcellerie d’autrefois... Comment ne pas avoir cette pochette de « Ossuarium Silhouettes Unhallowed » en tête, ses riffs death / doom aussi putrides qu’étrangement enivrants ? Clairement, Elden Ring possède son lot de moments sentant la mort et le pas lent de la menace (encapuchonnée), trouvant réponse dans les assauts en armure, une hache à la main. Mais il contient toujours un semblant d’émerveillement dans sa pénombre, une féerie austère et glauque, faisant que je pense au groupe de Lasse Pyykkö plus qu’à un autre.
Elend – A World In Their Screams
Elden Ring, c’est aussi un lore – terme que l’on pourrait traduire par « folklore » dans la langue de Michel Sardou – aussi fouillé qu’abscons, laissé par bribes, difficile à percer même pour les plus obstinés. Cette façon de conter son univers et ses codes, dévoilant un pli du voile pour laisser deviner la monumentale histoire qu’il cache, se rapproche de mes heures à avoir déchiffré cet album d’Elend, également pourvoyeur d’images et scènes suggestives d’un territoire vaste et désolé. L’orchestration fatidique et lancinante se mêle alors à une voix austère, déclamant inlassablement la perdition d’un monde où chaque tentative de traduction laisse mille routes à l’esprit. Un imaginaire du délabrement, d’une gloire salie par les affres des Dieux et leurs monstres, qui fait ressentir la même lutte au sein de la charogne d’une civilisation que ce jeu.
Evoken – Antithesis of Light
La mort, partout, à chaque recoin, prête à surgir et dominant chaque pas, chaque vision gigantesque et accablante. On peut regretter une formule un brin « édulcorée » – des guillemets importants, tant le challenge reste grand – par rapport à la difficulté habituelle des jeux From Software, les lieux empruntés continuent de signifier notre trépas possible, un lac putréfié à traverser, une fumée dorée dans laquelle pénétrer avec effroi, des cadavres de demi-dieux nous regardant de leur hauteur symbolisant notre trépas prochain. Le lien avec Evoken paraît alors logique, notamment avec cet album, son illustration qui aurait pu servir à la direction artistique d’Elden Ring, ainsi que sa musique funéraire et tortueuse. Nokron, la ville éternelle punie de sa trahison, trouve ici sa mise en musique, ses pierres noires enfermées dans la roche, ses chemins incompréhensibles, son architecture gothique et sentencieuse à la fois. Tout y suinte la mort et la nuit, jusqu’à cette fin demandant d’entrer dans un cercueil de notre plein gré pour quitter la zone. Comme un memento mori liant définitivement ce jeu à ce groupe.
Pissgrave – Posthumous Humiliation
La maxime latine évoquée plus haut se rappelle au joueur, en épée de Damoclès, lorsqu’il saute pour la première fois le pitoyable petit muret séparant Limgrave des terres désolées de Caelid. Un lieu corrompu par la putréfaction écarlate, modifiant profondément sa flore… Et sa faune, entre corbeaux géants et chimères canines – au moins aussi dégoûtantes qu’elles ne frappent fort. Miasmes putrides qui saisissent les narines, ciel écarlate, les sabots de Torrent peinent à décoller de cette boue âcre, et ocre. Rien à sauver, la Mort, avec un grand M, à perte de vue, et les rares mouvements captés du coin de l’œil ne sont jamais de bon augure. Se rappelle au bon souvenir du joueur des groupes peu recommandables, Pissgrave en tête, pour son Death Metal de scène de crime et de scotch jaune, photos dégueulasses, pus, gras de cadavre qui tâche. Des assauts soniques incessants, à l’image de ces mobs qui ne vous lâcheront pas d’une semelle – gare à vous, la discrétion sera votre meilleure amie ! « Posthumous Humiliation », à l’image de ces morts-à-peine-vivants, carcasses infectées, forcés à arpenter sans cesse ces chemins de terre battue désertés depuis longtemps. Amas grouillants de chair et Rafflésies aux couleurs inquiétantes, le sang reste l’un des éléments centraux de la partie la plus sombre d’Elden Ring – Caelid, donc, mais encore le Lake of Rot, reflet de l’éternelle obsession de Miyazaki pour les marais toxiques, et le Moghwyn Palace, faisant cohabiter voûte céleste et charniers à ciel ouvert.
Imperial Triumphant – Alphaville
Condensant le meilleur d’Anor Londo (Dark Souls I et III), de Heide et du château de Drangleic (le très décrié Dark Souls II), Elden Ring n’est pas avare en structures gigantesques et enceintes dantesques, que le joueur découvrira avec le même émerveillement que lorsqu’il mit les pieds à Ash Lake pour la première fois. Celui qui pensait que le Stormveil Castle était déjà imposant n’est clairement pas prêt pour la suite ! On rentre dans la capitale Leyndell par la petite porte, au prix d’affrontements dantesques (une gargouille imposante, suivie de trois sentinelles), pour découvrir une véritable merveille, secret dissimulé derrière de lourdes pierres. Un lieu qui appelle immanquablement le New York fantasmé d’Imperial Triumphant, dont le Black Metal est au moins aussi alambiqué que les grandes allées, couloirs tortueux et chemins de traverse qui scarifient la cité. Un travail d’orfèvre sur les détails et les ornements, sur la lumière dorée qui baigne ses allées… Au service d’un propos toujours aussi violent, la capitale étant à considérer comme l’un des premiers gros pics de difficulté du jeu. « Alphaville », grandeur de l’architecture, décadence pour son histoire, en témoigne ce gigantesque cadavre de dragon, couché sur les toits de Leyndell, que l’on est obligé d’escalader pour progresser, sous une pluie de flèches. Y’a pas, ça a de la gueule !
Bekëth Nexëhmü & Ancient Records
« J’ai rien compris. » Comme évoqué plus haut, il ne faut pas compter sur Hidetaka Miyazaki pour te tenir la main. Le lore se mérite, au prix de la sueur et de multiples tubes d’aspirine. Le moindre PNJ croisé s’exprime soit par aphorismes, soit par énigmes, les yeux cernés, à deux doigts de l’overdose de Xanax – et dans un anglais qui sent la naphtaline. Ta bite, ton couteau, ton courage à deux mains, et débrouille toi. Il faudra se frapper d’innombrables descriptions d’items, des lignes et des lignes de dialogues, prendre des notes, raccrocher les wagons, pour saisir ne serait-ce qu’un quart de ce qui se joue dans l’Entre-Terre. Le choix de l’open-world en rajoute une couche, le moindre mètre carré de terrain semblant vouloir nous dire quelque chose. Dieu merci, internet existe, une aubaine pour les flemmards qui pourront s’abreuver du lore jusqu’à plus soif, décortiqué par plus téméraire que soi. Cette austérité clive : on aime, on déteste… Ou on apprend à apprécier, comme ce fut mon cas. Après tout, le mystère, ça fascine ! Ces incessants jeux de pistes me rappellent furieusement le trillion de projets de Swartadauþuz, qu’il produit sous la houlette de son label, Ancient Records. Musicalement, comme thématiquement, c’est toujours difficile à suivre : plusieurs sorties par an, des enregistrements, des ré-enregistrements, des démos, des EPs, des plages ambiantes, des titres incompréhensibles, tout concourt à cette ambiance obscure, de fond de caveau, qui hante chacun des riffs pondus par le bonhomme. Il faut passer outre la production rêche et la profusion de trémas, accepter qu’on ne saisira peut-être jamais le sens du déluge qui se joue à nos tympans, pour pouvoir apprécier à sa juste valeur cet univers ésotérique, ces déambulations dans l’inconnu, sans aucun mystagogue.
Et pour être encore plus terre à terre : il suffit de mettre un pied dans les Consecrated Snowfields pour que nous vienne l’envie furieuse de revêtir cape et maquillage pour aller faire des Abbatheries en pleine forêt.
Ulcerate - Stare Into Death and be Still
Et que serait un jeu From Software sans son lot d'affrontements herculéens ? Si l'on joue à un Soulsborne, c'est en grande partie pour ça, après tout ! Ceux qui m'ont le plus marqué parmi les jeux de la firme ne l'ont pas forcément fait par leur difficulté - même si les marques de dents sur ma manette tendraient à prouver le contraire. Non, ceux qui ont laissé leur empreinte sur le coin de ma cervelle sont ceux où l'on se retrouve face à quelque chose, entité organique ou non, qui nous dépasse complètement. En taille, en lore, en tout. Ces réinterprétations de David contre Goliath, partir avec tout contre soi, pour finir par triompher, au prix de morts toujours plus nombreuses. Et l'on peut dire qu'en un peu plus d'une dizaine d'années, Hidetaka Miyazaki aura eu le temps d'en imaginer ! Kalameet et Manus (DS1), Ancient Dragon et Last Giant (DS2), les fantastiques Midir et Nameless King (Dark Souls 3), Ebrietas et Ludwig (Bloodborne)... Autant de confrontations plus ou moins complexes à aborder, mais systématiquement marquantes. Elden Ring ne déroge pas à la règle, sans surprise - et heureusement. Le dernier album d'Ulcerate colle à merveille à ces affrontements et ces zones de fin de jeu, qui se délitent, tombent en morceau, sous le regard ébahi du joueur. A l'instar des ruines de Farum Azula, structures flottant en plein ciel, entourées de tornades, réinterprétation grisâtre d'un Chateau dans le Ciel seulement peuplé d'hommes-bêtes agressifs au possible. C'est d'ailleurs un boss dissimulé parmi ses ruines qui m'a le plus inspiré ce rapprochement avec le Death Metal dantesque des Néo-Zélandais. Soit par pur bol, soit en s'aidant du sacro-saint internet, le joueur aura le choix d'affronter un véritable dieu, le dragon Placidusax. Même fortement diminué après un affrontement avec Godfrey, il garde encore toute sa fougue, manipulant la foudre et le vent pour terrasser celui qui a osé ne serait-ce que le réveiller de son long sommeil. Bref, un dragon pas comme les autres, pour un disque également hors du commun.
C'est à mon sens la marque des grandes œuvres : leur pouvoir d'évocation. Malgré la légère déception qu'il m'inspire, après l'avoir retourné dans tous les sens, puis platiné, Elden Ring reste un jeu extraordinaire, au sens littéral du terme. Difficile de passer après tant de jeux passés à la postérité, qui, chacun à leur manière, auront bouleversé tant de joueurs à travers le monde. Par le gigantisme de son univers fouillé (même si parfois un peu vide), par son identité visuelle forte et marquante (même si elle donne souvent dans le recyclage), par ses antagonistes principaux (qui ne le sont pas réellement), From Software a accouché d'un Dark Souls IV aussi généreux qu'imposant. Gageons que la page soit définitivement tournée, et qu'Hidetaka Miyazaki nous revienne avec une licence toute neuve, comme le furent Bloodborne et Sekiro en leur temps.
Et vous, amis joueurs, quels furent les sorties qui se sont rappelées à votre bon souvenir en parcourant l'Entre-Terre ?
Par Cujo
Par Cujo
Par Cujo
Par Cujo
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Keyser
Par Sosthène
Par Sosthène
Par Deathrash.
Par Ikea
Par Sosthène
Par gulo gulo
Par gulo gulo
Par Sosthène
Par Jean-Clint
Par gulo gulo
Par Jean-Clint