À l’occasion de la sortie le 26 mai d’« Akuzaï », troisième album d’ENTERRÉ VIVANT, Sakrifiss a accepté de répondre à mes questions. Ce sera l’occasion d’aborder différents sujets tels qu’une analyse à froid des retombées de « Shigenso », le processus de composition de ce nouveau LP ou encore des questions d’ordre plus personnel liées à ses activités extra-musicales.
« Chûtô », extrait de l’album Akuzaï (Antiq Label – 26/05/2025)
Bonjour Sakrifiss, merci de m’accorder cet entretien. Avant que l’on s’intéresse à l’actualité du groupe, « Akuzaï », j’aimerais revenir un instant sur « Shigenso » qui fêtera ses deux ans en septembre prochain. Es-tu satisfait de l’accueil qu’a reçu le disque, tant du point de vue des médias que du public ? De l’extérieur, j’ai l’impression que sa qualité a été unanimement saluée mais qu’il est tout de même resté dans une grande confidentialité, avec notamment assez peu de chroniques. Quel est ton avis, tant en termes de visibilité que de vente ?
Sakrifiss : Bonjour, bonjour bonjour ! C’est Sakrifiss et j’espère que ça va pas trop bien. Je constate que tu veux plonger rapidement dans le vif du sujet ! «
Shigenso » est effectivement sorti en septembre 2023 ! Que le temps passe vite. Alors, ce que je retiens des retours, c’est à quel point certains ont eu un coup de coeur pour l’album. Je l’ai vu dans des classements annuels, et les notes ont été bonnes sur la plupart des sites de référencement. D’ailleurs cette interview est l’occasion d’aller voir un peu les notes attribuées par-ci par-là. Allons voir les sites sur lesquels n’importe qui peut voter parce que là on y trouve l’avis général et pas celui d’un seul chroniqueur. Hummm... Rateyourmusic ! 43 personnes ont mis une note et la moyenne est de 3.52/5. Le vilain dénommé Henrilhe a mis un 1.5/5 ! L’adorable RedAtelierBass à mis un 5/5 ! C’est une moyenne très satisfaisante, non ? Sur Discogs, 51 personnes l’ont dans leur collection et 12 le « wantlistise » ! La note moyenne est de 4.25/5. Là encore, les retours sont positifs, même si effectivement on ne peut pas convaincre tout le monde. Quant au nombre de chroniques, je ne sais pas... Il faut comparer avec quels groupes pour se faire une idée ? Nous avons été cités dans des articles au Japon, au Danemark, en Italie... Nous sommes passés dans Metallian et L’Antre des Damnés... Nous nous sommes retrouvés dans des vidéos YouTube, dans des interviews... Evidemment, nous sommes disponibles et toujours intéressés pour parler plus de notre black metal et de notre univers, alors nous apprécierions d’apparaître encore plus un peu partout, mais nous devons déjà nous estimer heureux. Il me semble que beaucoup de groupes ont moins d’occasions que nous de se « mettre en avant » malgré leurs qualités. Mais bon, si certains qui lisent cette discussion avaient envie de me contacter pour faire une proposition quelconque, nous y sommes ouverts. Si dans le monde « physique » je suis très peu enclin aux relations sociales, je ne les fuis pas lorsqu’on reste à distance... En ce qui concerne les ventes, c’est le label qui se charge des stocks donc je ne sais pas combien il lui en reste, mais il lui en reste. En revanche, Erroiak a dû lui recommander des albums parce qu’il avait tout écoulé de son côté. Quoi qu’il en soit,
Antiq a resigné pour le nouvel album, donc c’est que ce n’était pas assez minable pour nous dire « au revoir », rahahahahaah.
Comme tu es établi au Japon depuis 1999 et que votre concept s’inscrit pleinement dans cette culture, aussi bien esthétiquement, textuellement que musicalement, avez-vous bénéficié d’un traitement privilégié en Asie, un engouement que tu n’aurais pas perçu sur le continent européen par exemple ? En effet, avec mon regard naïf, j’ai l’impression qu’en dépit de vos origines à Erroiak et toi, vous êtes davantage considérés comme un groupe asiatique, donc « exotique », que comme une formation française partiellement expatriée. Et la conséquence de cela, c’est que je vois passer beaucoup moins d’articles que pour une sortie hexagonale, même de moindre envergure. Partages-tu cette perception et, si oui, comment vivez-vous cela ?
Sakrifiss : Tu dois avoir en tête certains sites en particulier, non ? Ou alors des groupes Facebook ? Des webzines ? Plus haut, je t’ai cité Metallian et l’Antre des Damnés, mais on a aussi parlé d’ENTERRE VIVANT sur « Le Masque et l’enclume », « Metal in Veins », « Metal Hunters », « Loud TV », « Metal Storm », « Metallerium », « HeavyMetal.dk », « Hammerheart Metal Reviews »... Ce ne sont peut-être pas les réseaux que tu fréquentes ou pas ceux que l’on voit habituellement présenter la scène du black metal français. Par exemple, tu es le seul sur Thrashocore à t’intéresser au groupe. Le reste de l’équipe s’en bat les couilles puissance 1000. Mais tu sais quoi ? Je pense aussi qu’on prend moins au sérieux la musique de quelqu’un qu’on connaissait avant qu’il en fasse. On en reparlera peut-être plus tard et je ne veux pas trop m’éloigner de ta question d’origine, mais si ton tonton Michel se mettait au black metal, tu t’y intéresserais sans doute d’un peu plus loin que le reste de la scène. Où en est ENTERRE VIVANT en Asie ? Ils nous voient eux aussi comme exotiques. Les Français nous voient peut-être comme une entité asiatique, les Japonais nous voient comme une entité européenne. Les années que j’ai passées au Japon ne changent pas mes origines et ma condition. Il ne faut pas se vouloir japonais quand on n’y a pas passé son enfance. On peut s’y intégrer, à condition de maîtriser la langue, la culture, les usages, les protocoles, mais on ne devient pas un Japonais comme les Japonais. Je reste donc un Français vivant au Japon, parfaitement accepté, parfaitement adapté, parfaitement respecté. De plus, le groupe a aussi « l’inconvénient » d’avoir un nom français, donc les Japonais ne peuvent pas s’y identifier facilement. Certes, MAGANE (groupe de black japonais) avait commencé sous un nom à consonnance française (MORTES SALTANTES), mais il a justement changé en 1999 pour mieux coller à son identité. ENTERRE VIVANT a choisi son nom à un moment où il n’avait pas encore décidé de se concentrer sur la culture japonaise. Le premier album est d’ailleurs principalement chanté en français, il s’appelle «
Les ténèbres ne sont pas formées d'ombre », il inclut peu d’instruments japonais... Il n’y avait pas de raison d’avoir un nom japonais à nos débuts. C’est par la suite, avec l’EP «
Shiki », que nous avons décidé de mettre en avant mon pays d’adoption de façon plus systématique. Nous avons finalement trouvé notre identité tardivement, et même si j’aime toujours notre nom de groupe, il n’est peut-être plus le plus pertinent... L’engouement au Japon n’est donc pas très avancé, même si nous avons été interviewés pour le webzine Marunouchi et que l’album a été en vente sur plusieurs sites spécialisés de metal.
Dans notre précédent entretien, tu disais de façon plus ou moins explicite qu’il n’y aurait jamais de concert d’ENTERRÉ VIVANT. Penses-tu que le fait d’être un projet exclusivement studio, avec de surcroît un éloignement géographique conséquent entre toi et Erroiak, puissent être des freins au développement de votre duo en termes de renommée ? Ne ressentez-vous pas un peu de frustration à ne pas pouvoir davantage défendre votre vision du black metal, que ce soit sur scène ou en interview ? Ou tout simplement à ne pas pouvoir partager un Onigiri accompagné d’une Sapporo bien fraîche ?
Sakrifiss : Pour les interviews, je ne refuserais pas d’en faire plus, mais comme je te le disais, nous ne sommes pas mal lotis. D’autres groupes n’arrivent pas à en avoir la moindre donc je n’ai pas à me plaindre, ce serait déplacé. Et pour les concerts, j’avais sans doute dit qu’il n’y en aurait jamais, comme j’avais autrefois dit que « jamais je ne deviendrai chroniqueur » et que je le suis devenu en 2007 ou que « jamais je ne ferai de musique » avant d’en faire depuis 2019. Je ne peux donc plus dire « jamais » en étant crédible, mais tout de même, les difficultés restent nombreuses pour un live. Des répétitions à distance, en ligne, c’est quasiment impossible. Il faudrait que nous apprenions par coeur les paroles de nos propres titres et j’ai une mémoire particulièrement merdique… En « studio », je sais ce que je vais chanter sur ma partie parce que je n’ai qu’un seul morceau à avoir en tête à ce moment-là, mais en concert, mamamia, je suis trop bête pour ça. Et puis Erroiak, même s’il est très bon pour chanter en japonais, il ne parle pas la langue et c’est donc aussi une complication pour lui de tout mémoriser. Rajoute à tout ça le fait que nous ne soyons que deux pour tout faire, il nous faudrait donc trouver des musiciens... Ou alors on fait juste une version Unpluggled... à la FNAC !
Pour en finir avec la période « Shigenso », que subsiste-t-il de cet album dans « Akuzaï » ? Quels sont les éléments que vous avez sciemment décidé de reconduire sur ce nouvel enregistrement et, par opposition, y a-t-il des choses que vous avez choisies de ne pas reproduire ? Ma question porte évidemment sur des aspects musicaux mais s’ouvre également sur la méthode de travail, des choix d’enregistrement, l’instrumentation, la communication entre vous deux, etc.
Sakrifiss : Notre manière de composer ensemble reste inchangée parce qu’elle nous convient parfaitement. La première étape, c’est le concept général de l’album, puis on avance titre par titre. Je fournis à Erroiak ces informations. Pour «
Shigenso », je voulais quatre morceaux puisque j’avais choisi de parler des éléments. Un morceau par élément. Cela a entraîné des compositions longues, qui dépassaient toutes les dix minutes pour arriver à un album de plus de cinquante minutes. J’avais envie de changer cela pour ne pas tomber dans une routine et c’est donc le chiffre qui a été à la base de la recherche du concept. Je me suis demandé ce qui était réalisable avec les chiffres 8, 9, 10 etc., et j’ai choisi les dix péchés d’une branche du bouddhisme... Une fois qu’Erroiak a les explications sur l’histoire que je veux raconter, je lui donne généralement aussi des paroles. Il se met à composer et me passe le résultat lorsque c’est prêt. Je lui dis ensuite sur quels passages de ce qu’il a composé il peut poser son chant, en fonction de là où je souhaite mettre le mien et nous enregistrons nos vocaux chacun de notre côté. Nous corrigeons des détails ensuite, petit à petit. J’aime proposer des petits ajouts ou des samples. C’est généralement comme ça que nous arrivons à un résultat final, avec ce travail d’équipe, mais avec chacun ses propres tâches. Bien sûr, il peut arriver des exceptions et Erroiak a déjà composé avant même d’avoir des paroles, mais ça reste une exception. «
Akuzaï est le deuxième album de suite avec la même approche (3ème si l’on inclut l’EP «
Shiki »). C’est-à-dire que nous confirmons notre identité, notre personnalité. Mais cela nous oblige aussi à réfléchir sur les dosages. Il faut que l’on reconnaisse notre patte franco-japonaise, mais sans faire une copie conforme des anciens titres. La durée est déjà une différence notable, mais ensuite il y a plein de détails qui apportent aussi de la nouveauté. Erroiak a composé des titres variés, épiques pour certains, agressifs ou torturés pour d’autres. Nous y avons ajouté certains instruments traditionnels déjà employés sur l’album précédent (tambour, flûte...) mais de manière différente, ainsi que des éléments japonais nouveaux qu’il faudra découvrir en écoutant l’album (des samples par exemple...).
« Le feu », extrait de l’album Shigenso (Antiq Label – 01/09/2023)
Je vais à présent passer au chapitre « Akuzaï », avec en premier lieu une question sur le label. Vous continuez l’aventure au sein du catalogue d’Antiq Records, est-ce que c’est aujourd’hui le meilleur label, du moins en France, pour comprendre et promouvoir la musique d’ENTERRÉ VIVANT ? Y a-t-il eu des obligations particulières auxquelles il vous a fallu répondre où la liberté artistique est-elle totale ? Et, également, du fait de son implantation hexagonale forte et de votre spécificité géographique, est-ce qu’un label supplémentaire tourné vers l’international ne serait pas une force pour faire davantage connaître votre musique ?
Sakrifiss : Il y a plusieurs facteurs qui rentrent en compte quand tu choisis un label. Parfois, tu n’as même pas le choix, tu vas sur celui qui veut de toi, parce que ce n’est pas si simple d’attirer l’attention. Tu peux décider d’intégrer une écurie parce qu’elle est connue ou parce que ses groupes sont souvent choisis pour des festivals ou parce qu’il y a un groupe que tu aimes bien qui est dessus... Nous, nous avons contacté Antiq parce qu’il s’inscrivait dans notre orientation japonaise après le premier album. Nous étions chez Drakkar avant, et c’était une fierté parce que je respecte le travail de Noktu sur ses groupes (
CELESTIA et
MORTIFERA surtout), mais ce n’aurait pas été cohérent de sortir «
Shigenso » ou «
Akuzai » chez lui car notre musique et notre thématique ne rentrent pas dans ce qu’on attend de ses poulains. Antiq propose beaucoup de groupes qui mettent les « cultures » en avant, françaises ou étrangères, et qui ont un fort côté « folk ». Notre black metal atmosphérique imbibé de saveurs japonaises avait évidemment sa place dans son catalogue. Est-ce le meilleur label pour tous les aspects ? Je ne sais pas mais son patron, Hyver, adore ce que nous faisons et sait nous le manifester, il réalise avec sa camarade Joanna les visuels efficacement en respectant nos envies et indications, et il(s) propose(nt) de lui-même de faire des tshirts à l’effigie du groupe etc. Il a un réseau important et sans aucun doute intéressé par notre style. Par contre, ta question sur l’international est intéressante... Les réseaux se sont multipliés et j’ai cru comprendre que les Bandcamp, Spotify et compagnie marchaient bien à l’étranger... Je ne sais pas si nous serions plus visibles en ayant un label spécifique pour le « hors France », ni ce qu’en penserait Antiq... Je lui demanderai un de ces jours, tiens...
Difficile pour moi de parler d’« Akuzaï » sans évoquer en premier lieu sa pochette. Je sais que tu es derrière les concepts et tu as expliqué récemment que la thématique de l’album était la Seconde Guerre Mondiale vue à travers le regard des victimes civiles japonaises. Il y aurait eu des centaines de façons d’illustrer cela mais tu as opté pour la photographie d’une mère au regard dans le vide allaitant un enfant (peut-être même pas le sien d’ailleurs) et qui semble porter des marques de brûlures. Pourquoi cette image ? En quoi est-ce elle qui illustre le mieux ce thème, au-delà de sa beauté esthétique indéniable bien que troublante ?
Sakrifiss : Cette photo était une évidence. Lorsqu’ils parlent de la guerre, beaucoup de gens imaginent les combats, les chars, les avions, les soldats. Ce n’est pas de ça que je voulais parler. Je voulais que l’on voie ce qu’il reste de toutes ces attaques, les répercussions d’une véritable guerre. Un kamikaze se tue mais il laisse une lettre avant d’aller se sacrifier, adressée à sa famille pour s’excuser de ne pas pouvoir revenir au foyer, pour s’excuser de mourir sans doute inutilement mais avec le minime espoir que cela protègera les siens et son pays. Trop peu de personnes essaient de voir ou de comprendre ce qu’il y a derrière le jeune homme qui a crashé son avion contre un bateau ennemi. On déshumanise les victimes en quelque sorte... La femme sur la pochette est de Nagasaki. La photo a été prise peu après la bombe nucléaire qui s’est abattue sur la ville. Elle symbolise pour moi exactement ce dont je voulais parler : les civils qui ne comprennent même pas pourquoi leur pays se bat, qui ne sont pas nécessairement d’accord avec cette guerre, qui subissent de plein fouet les horreurs. Elle est en train d’allaiter son propre enfant, le regard dans le vide, puisque de toute façon il ne reste plus rien ou si peu. Et elle perdra de toute façon les rares choses qui lui restaient avec la mort de ce bébé quelques jours plus tard... C’est cruel, mais ce n’est pas la « guerre fantasmée », c’est la réalité, et cet album veut rappeler la réalité.
Pour rester encore un peu sur la thématique, peux-tu nous expliquer comment tu établis artistiquement et intellectuellement un lien entre la guerre et vos dix morceaux, chacun étant une illustration d’un des dix péchés du bouddhisme (meurtre, vol, luxure, mensonge, calomnie, injure, paroles inutiles, convoitise, méchanceté, vues fausses). En quoi chaque péché te permet, en tant que parolier, de raccrocher avec les souffrances des civils durant la guerre, voire des traumas postérieurs au conflit ?
Sakrifiss : Je reviens alors à la genèse de cet album. Je voulais que nos compositions soient plus courtes, et je souhaitais donc une thématique avec un chiffre entre 8 et 12. J’ai opté pour les dix péchés selon une branche du bouddhisme. J’insiste sur le « selon une branche » car selon les pays, et même dans un même pays, il existe des nuances entre plusieurs bouddhismes. Je n’avais pas encore décidé de parler de la deuxième guerre mondiale. Avec Erroiak, nous avons décidé que ces dix pistes seraient composées de six titres véritables qu’il composerait et de quatre intermèdes dont je me chargerais. Comme mon comparse était occupé avec d’autres de ses projets, j’ai décidé de commencer tout seul à créer mes intermèdes. Je me suis rappelé que beaucoup d’historiens disaient que l’empereur du Japon avait trouvé des « excuses » pour enclencher la guerre, et j’ai trouvé que cela collait à l’un de mes péchés. « Tiens, manier les mots pour entrer en guerre, c’est un péché dont j’aimerais parler ! ». Je ne dis pas qu’il mentait sur les raisons, mais qu’il devait trouver les mots qui allaient convaincre son peuple à s’engager dans des combats. J’ai pris son discours radiophonique de l’époque, j’y ai ajouté des flûtes traditionnelles et ainsi est né « Jaken ». Cela m’a ensuite semblé une évidence que les guerres réunissaient tous les péchés, surtout ceux de la branche bouddiste en question. Au lieu de parler de guerres différentes, j’ai donc choisi de parler de celle-ci, de poursuivre dans cette voie. J’ai choisi des lettres écrites par des kamikazes, des samples tirés de films japonais qui présentent les victimes et les soldats perdus de l’époque, et j’ai écrit des textes en français et japonais qui relient les péchés et la guerre au Japon. « Shin’i » par exemple met en scène deux personnes. La première est incarnée par Erroiak et elle explique les horreurs vues durant la guerre et le fait qu’elle aurait mieux fait de périr plutôt que de devoir survivre en repensant à tous ces péchés (meurtres, vols, mensonges...) qu’elle a vus devant ses yeux. La deuxième, à travers ma voix, rappelle que le survivant a le devoir de reconstruire un monde, en honneur aux morts mais surtout pour ceux qui restent, tout en évitant de glorifier ce survivant, qui a lui aussi, finalement, péché pour échapper à la mort durant la guerre.
Quelles sont selon toi les différences majeures entre les péchés du bouddhisme et nos sept péchés capitaux bibliques (orgueil, avarice, envie, colère, luxure, gourmandise, paresse) ? Certains m’ont l’air d’être communs aux deux cultures mais il existe forcément des différences dans ce qu’ils impliquent non ? Et dans ta vie quotidienne essaies-tu de ne pas y succomber, de t’imposer une discipline ? Autrement dit, à travers ce thème, peut-on y voir une histoire dans l’histoire, une métaphore de la fragilité humaine au sein de la mécanique étatique, les péchés se déclinant alors sur deux niveaux de lecture, un social et un supra-social ?
Sakrifiss : Ce qui me marque le plus entre les deux concepts de péchés, c’est surtout que ceux dont je parle dans l’album veulent tous éviter de faire du tort à autrui, lorsque ceux que tu cites peuvent parfois n’être mauvais que pour soi-même. Je veux dire... La gourmandise ou la paresse, c’est bon, je m’en tape, tu peux bouffer tout ce que tu veux ou être un paillasson humain, ça n’aura pas de conséquences sur moi. Peut-être que les uns tentent de créer une meilleure cohésion sociale en évitant que l’on porte préjudice autour de soi tandis que les autres tentent d’améliorer chaque humain en tant qu’individu ? Quoi qu’il en soit, cet album ne laisse pas beaucoup de lectures ou d’interprétation. J’ai du mal avec les groupes qui ne disent pas les choses et se contentent d’annoncer que l’auditeur peut « comprendre ce qu’il veut », car souvent ils ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils veulent dire. Ils espèrent finalement que les autres trouveront une explication à ce qui n’avait pourtant aucun sens. Notre nouvel album parle des péchés et de la guerre. Mais c’est vrai, il ne parle pas que d’une seule guerre mais de toutes car elles ont la même finalité pour les victimes. Il vaut mieux y penser un peu avant d’avoir envie d’en déclencher de nouvelles... Comme je dis dans « Don’yoku » : « Il n’y a pas de paradis, mais juste l’enfer qu’on crée sur Terre. On meurt pour l’empereur, pour sa famille, pour des gens qu’on ne connaît même pas, pour des raisons qu’on ne comprend pas... ». Les guerres sont apparemment inévitables, mais n’oublions pas les victimes, rendons-leur hommage.
Enfin, de façon plus générale, pourquoi ce thème ? Est-ce parce que cette guerre et son achèvement nucléaire marquent encore profondément la société japonaise et que tu ressens cela dans la vie de tous les jours ? Sachant que de l’avis de nombreux historiens ni « Little Boy » ni « Fat Man » n’étaient nécessaires pour mettre fin au conflit, leur usage ayant uniquement servi les intérêts américains dans la course à la domination mondiale qui allaient suivre… Qu’est-ce qui te touche tellement dans ce moment de l’histoire pour que tu décides d’y consacrer un album ?
Sakrifiss : Sur chacun de ses albums, ENTERRE VIVANT s’intéresse à un élément fortement présent dans le quotidien du Japon. C’est ce que je veux mettre en avant pour l’instant, plus que des histoires de samouraïs, de fantômes ou de monstres, qui sont très bien abordés par d’autres groupes. Je vis au Japon depuis plus de 25 ans effectivement, et j’ai toujours regretté que les formations nationales de black metal ne se consacrent pas plus à leur propre quotidien. J’ai commencé avec un thème qui est très classique au Japon : les saisons avec «
Shiki ». Les chansons, la poésie, mais aussi les habitudes de tous les jours sont très imprégnées de ces notions de printemps, été, automne et hiver. Pour «
Shigensô », j’ai choisi les éléments, là aussi un concept fort au Japon, que l’on retrouve dans beaucoup d’histoires, romans ou mangas. Pour «
Akuzaï », je reste toujours ancré dans le Japon actuel même si je parle d’une guerre terminée depuis 80 ans. Ses répercussions, les séquelles, le traumatisme sont toujours dans le cœur des Japonais. Leur Constitution a été rédigée après la guerre et elle n’a pas été changée depuis. Elle contient par exemple la décision « de ne plus jamais faire la guerre ». Le Japon s’interdit d’avoir des forces d’attaque. D’un autre côté, les Américains ont installé des bases militaires à Okinawa et elles y sont toujours actuellement. Tu te rends compte que le Japon est donc en partie « occupé », sous prétexte de le protéger de l’intérieur. Et puis évidemment, des cérémonies de commémoration sont toujours retransmises à la télé le jour des bombes sur Hiroshima et Nagasaki, des temples dédiés aux victimes se trouvent dans tout le Japon… Bref, c’est un thème qui ne fait partie du passé, mais qui se retrouve dans la vie de tous les jours.
Je me dis que pour composer un tel disque, de même que le précédent d’ailleurs, le concept doit pré exister à la musique : les quatre éléments de « Shigenso » engendrent quatre compositions, des dix péchés en découlent dix nouvelles, j’imagine forcément qu’Erroiak ne peut pas avoir une totale carte blanche pour composer les structures instrumentales et qu’il le fait donc au sein d’un cadre bien défini. Est-ce le cas ? Aurait-il pu décliner un même péché sur plusieurs morceaux par exemple ? Où s’arrête la liberté artistique de chacun au sein d’ENTERRÉ VIVANT ?
Sakrifiss : Erroiak et moi, nous savons très bien quelle tâche incombe à l’autre et nous avons une totale confiance mutuelle. Je lui fournis un thème, il arrive à en faire une composition. Parfois elle contient déjà un ressenti proche de ce que je voulais transmettre, parfois ce n’est pas le cas et ce n’est pas un problème parce que les paroles vont apporter les éléments du thème. Ou alors c’est le timbre que je prendrais pour le chant, ou encore un sample particulier. On peut prendre l’exemple de « Jaïn ». Ce titre parle dans sa première partie d’un kamikaze et de sa relation avec son père et son souvenir d’une mère déjà disparue. Erroiak en a fait un titre mélancolique, mais pour augmenter la tension dramatique et mieux faire passer le message, j’ai eu l’idée après-coup d’utiliser des samples d’un film sur la deuxième partie du morceau. Il s’agit du film « Hiroshima », sorti en 1953. J’ai découpé des passages du film (ce n’est pas une simple scène que j’ai utilisée telle quelle) et je les ai placés au moment opportun selon l’évolution de la composition d’Erroiak. C’est très rare que nous ayons à redire l’un sur l’autre. Nous savons très bien ce que nous voulons faire, et nous sommes plutôt perfectionnistes chacun sur nos propres parties. Erroiak retravaille souvent des détails dans ses instruments et vocaux et je fais moi aussi beaucoup de versions de mes vocaux, des paroles, des samples que je veux ajouter. Nous sommes complémentaires...
Toujours concernant ces nouveaux titres, j’ai constaté une réduction de leur durée par rapport à « Shigenso ». Je me doute bien que composer dix morceaux de treize minutes n’auraient pas forcément eu beaucoup de sens mais cela a certainement dû impacter vos choix artistiques non ? Avec peut-être un amuïssement des longues parties purement atmosphériques, un black metal moins contemplatif si je puis dire, pour adopter un ton plus dur, plus compact, davantage en cohérence avec la thématique guerrière ?
Sakrifiss : Un « amuïssement » ! C’est un joli mot qu’on entend très rarement ! Je pense que si nous étions passés à des titres de moins de quatre minutes, on aurait pu se dire que nous étions devenus plus directs, mais il reste encore beaucoup d’espaces avec huit minutes. C’est tout de même une gageure que de conserver l’attention sur des compositions de plus de dix minutes. Soit tu deviens lassant en répétant les mêmes plans, soit tu changes de rythme au sein de la composition et tu deviens plus difficile à être digéré. Sur «
Shigensô », l’auditeur devait faire l’effort de se plonger dans les titres pour bien suivre. Ce sont des compositions qui nous ont plu, mais nous ne voulons pas non plus nous enfermer dans ce modèle. Personnellement, je préfère des albums qui ont plus de titres mais plus courts, j’ai l’impression d’avoir plus de choses à écouter. En tout cas, «
Akuzaï » n'essaie pas de sonner plus « guerrier » et il a au contraire beaucoup de mélancolie et de douleur. Comme il parle des victimes de la guerre, il n’est pas très « combattant ». Il n’y a peut-être bien que sur « Sesshô » que l’auditeur est plus plongé dans l’action des combats, à cause des bruits d’avion et de bombes que nous avons ajoutés. Mais même ce morceau cherche plus à s’interroger sur la condition des soldats qui meurent, et les sons sont des souvenirs d’avant leur mort. C’est pourquoi j’ai choisi les paroles : « Je suis mort, tous l’ignorent, sacrifié, oublié. ». Quand tu es un véritable héros, une vraie figure d’une guerre, on retient ton nom, mais la « chair à canon » n’a pas de nom. Tu deviens un soldat sans nom, parmi d’autres soldats sans nom. Et en plus, dans le cas du pays vaincu, on te décrit comme un fanatique qui jetait son avion sur l’ennemi, le sourire aux lèvres comme si tu étais un dingue heureux de se tuer…
Passons à présent aux compositions elles-mêmes, mais je ne vais pas commencer par me focaliser sur le versant black metal. J’aimerais au contraire que nous évoquions d’abord « Jaken » (l’introduction), « Waruguchi », « Mögo » puis enfin « Ryôshita » (l’outro), qui sont pour moi l’une des innovations fortes d’« Akuzaï ». Pourquoi ces péchés n’ont-ils pas été traités comme les autres par une écriture typiquement metal mais plutôt expérimentale, avec des samples et des montages dont tu es je crois à l’origine ? Et, point complémentaire à cette question, pourquoi ces péchés en particulier ? Que cherchais-tu à exprimer à travers ces intermèdes ?
Sakrifiss : Lorsque j’ai réfléchi au nouvel album, j’ai donc avant tout décidé d’avoir dix morceaux grâce au thème des péchés. Nous étions d’accord avec Erroiak pour avoir un album qui ferait entre quarante et cinquante minutes parce que nous ne sommes pas fans de ceux qui dépassent l’heure de jeu. Faire dix morceaux de quatre ou cinq minutes, cela faisait trop court. Comme je suis un amoureux de l’harmonie à la japonaise, j’ai donc opté pour six compositions normales et quatre intermèdes. Où est l’harmonie ? Une intro, deux compositions, un intermède, deux compositions, un autre intermède, deux compositions, une outro. 1/2/1/2/1/2/1... J’aime bien aussi le fait de placer des intermèdes marquants, presque WTF, parce qu’ils permettent de bien faire la coupure entre chaque morceau. Je me suis beaucoup plus creusé la tête pour déterminer quel péché attribuer à telle ou telle composition, tel ou tel intermède. Pour « Waruguchi » ça a été facile puisque ce mot signifie « Insultes ». J’ai donc proféré des insultes en japonais que j’ai superposées les unes sur les autres. Je voulais y ajouter de la musique traditionnelle, mais finalement j’ai siffloté dessus, c’est assez désagréable à l’oreille, comme une insulte le serait. Pour le reste, j’ai choisi « La bêtise humaine » (« Jaken ») pour le titre d’ouverture parce que c’est parfait comme introduction, « le double langage » pour la dernière piste parce que j’ai voulu faire un parallèle entre la manière de décrire un vainqueur et un vaincu. On peut dire qu’on était le méchant, ou le gentil, ou encore manier les mots différemment. Et puis « Môgo », ce sont les « discours trompeurs », qui « aveuglent ». C’est celui qu’il restait en dernier, donc j’ai écrit un mini-texte à ce sujet.
Si je te dis que « Môgo » m’a énormément fait penser au titre « Maleiçon » de PESTE NOIRE, étant donné son texte en français mais surtout la voix d’Athena Nahkriin Halphas et le ton déclamatoire qu’elle adopte, qu’en penses-tu ? Je me fourvoie totalement ? D’ailleurs, comme Athena est encore méconnue, peux-tu nous en dire quelques mots ? Qui est-elle, comment avez-vous été amenés à travailler ensemble mais également, pourquoi lui avoir donné l’intermède « Môgo » plutôt qu’une composition plus traditionnelle où elle aurait pu chanter soit en solo soit en accompagnement d’Erroiak et / ou toi ? Tout ce que je sais, c’est qu’elle est suédoise et qu’elle a réalisé le logo de FORMORAICH, un groupe français de pagan black metal.
Sakrifiss : Athena a peut-être des origines suédoises, mais elle vit en France depuis des années. Faudra que je lui demande si elle a vécu là-bas, rahahahahaha. La honte, je ne connais pas son passé. En fait, elle m’a contacté en 2018 parce qu’elle avait simplement découvert mes vidéos sur YouTube. Elle m’a toujours fait part de sa passion pour les musiques extrêmes et me disait depuis un petit moment que son rêve serait d’intégrer un groupe, mais que c’était difficile de trouver des gens dans son style et dans sa région. Elle a une voix bien folle et beaucoup pensent que c’est un homme qui a ces vocaux. J’ai voulu lui donner un coup de pouce en espérant que son intervention permettrait de l’aider à trouver ce qu’elle cherche. Donc si certains veulent donner une chance à une guerrière brutal black death dans la région Haute Garonne dans les campagnes aux alentours de Toulouse, qu’ils aillent la chercher sur ses réseaux, genre Facebook. Donc il n’y a aucun rapport avec PESTE NOIRE, je voulais qu’elle se remarque, et un intermède était donc la meilleure solution. Tu ne peux pas passer à côté. Je lui ai dit : « Tiens, voilà un texte, montre-nous tes capacités vocales ». Elle s’est enregistrée sans avoir la moindre idée de ce que j’allais ajouter comme musique par-dessus, et finalement j’ai trouvé que des flûtes créaient un bon équilibre avec la noirceur de sa voix. Voilà l’histoire !
Athena Nahkriin Halphas
Ces intermèdes, dont le rendu est proche d’un enregistrement radiophonique, l’intro et l’outro en particulier, me semblent idéalement contribuer à la volonté de composer le témoignage d’une époque, de donner au disque un aspect documentaire qui va un peu au-delà de ce qu’on entend habituellement dans les albums conceptuels. Peux-tu nous dire de quelles archives ils proviennent et comment tu les as retravaillés pour en faire une matière à 100% ENTERRÉ VIVANT ?
Sakrifiss : Pour l’introduction, c’est le discours de l’empereur japonais au moment d’entrer en guerre. Il explique que les pays étrangers portent atteinte aux intérêts du pays et qu’ils sont un danger pour sa survie. J’ai pris le discours tel qu’il a été diffusé sur les ondes et j’y ai ajouté des instruments traditionnels. J’ai trouvé que cela donnait un côté dramatique réussi, adapté à l’ouverture d’un album, et idéal pour lancer la thématique. L’outro est tiré de « La Harpe de Birmanie », un film qui suit un régiment japonais en pleine déroute juste après la reddition de leur nation. Ils n’ont jamais vraiment compris ce qu’ils faisaient, ils ont suivi les ordres comme il était obligatoire de le faire. Et là, la défaite. Ne pas savoir à quoi on a servi, être heureux de pouvoir rentrer dans son pays mais en tant que vaincu, sans savoir qui est encore là et ce que réserve l’avenir. Parmi eux, un homme va se découvrir une vocation et rester en Birmanie. Je conseille de voir ce film des années 50. C’est une fin logique pour l’album. J’ai choisi un passage où tout le régiment chante, et une voix, celle d’un soldat, explique que grâce à la musique et à une harpe, ils ont pu chanter ensemble, essayer de s’extraire de l’enfer dans lequel ils étaient chaque jour. Et puis j’ai ajouté des sons étranges sur ce passage : des cris d’animaux pour mettre des sonorités un peu angoissantes. Les spécialistes des cris d’animaux découvriront peut-être les deux animaux utilisés ?
Si l’on s’intéresse à présent à la dimension purement black metal des six chansons restantes, j’ai surtout été touché par la grande mélancolie qui se dégage des mélodies, de « Chûtô » bien sûr, mais également de « Jain » par exemple. Erroiak se porte bien ou il passe par une phase dépressive qui a transpiré dans sa façon d’écrire ? Ou alors c’est le thème et l’angle sous lequel tu as choisi de l’aborder qui fait que l’empathie et la tristesse ont pris le pas sur les aspects plus belliqueux du black metal ?
Sakrifiss : Erroiak a des influences variées dans le black metal, alors il est capable de s’adapter en fonction d’un thème. Il est souvent rapproché de
SUMMONING parce qu’il en fait souvent des reprises, mais ses connaissances et son parcours sont très larges. Il ne faut pas oublier qu’il a une formation de musicien, spécialiste du piano. Cela ne se limite donc pas au black non plus. En tout cas, tu peux être rassuré, il va très bien dans sa vie privée, et c’est même l’une des personnes les plus stables de mon entourage. Je m’inquiète pour certains, me demandant s’ils seront encore là demain, mais lui ça va, je ne risque pas de le perdre comme j’ai perdu d’autres partenaires. J’en profite pour glisser une pensée à Jonathan de DAUGHTERS OF SOPHIA, parti en 2024… J’espère que son dernier album, qui était prêt, aura la chance de sortir. J’y faisais une apparition, tout comme une très célèbre voix du black japonais. Le thème était… le Japon et ses fantômes.
Toujours au sujet d’Erroiak, je suis à chaque fois surpris par sa capacité à changer de registre selon le groupe dans lequel il est. C’est un musicien très actif mais je trouve que rien ne sonne jamais pareil, et encore moins ENTERRÉ VIVANT. Se met-il dans un état d’esprit particulier au moment de composer ? Lui donnes-tu une matière, même brute, qui l’aide à s’immerger dans le concept pour que le résultat sonne de façon aussi personnelle et originale ?
Sakrifiss : Alors justement, Erroiak corrige toujours les personnes qui lui envoie des louanges à ce sujet. Il précise qu’il n’est pas le compositeur dans les autres formations dans lesquelles il joue. Il y fait les vocaux, les guitares, mais il ne s’investit pas plus dans le processus de composition. Moi, j’imagine qu’il a quand même une part de liberté dans ses interventions, mais bon… Et comme je le disais, il est de toute façon très pro et capable de s’adapter à tout. Il comprend surtout ce à quoi il participe et peut te produire tout ce que tu aimerais. C’est le Kiloutou du black metal !
Peux-tu également nous parler des instruments qui ont été utilisés ? J’ai l’impression que de nouvelles sonorités ont fait leur apparition par rapport à « Shigenso » et qu’encore une fois les instruments traditionnels se fondent parfaitement dans votre black atmosphérique. Cela demande beaucoup d’efforts pour aussi bien doser et ne jamais tomber dans un excès qui pourrait être caricatural ?
Sakrifiss : Nous ne sommes pas allés chercher de nouveaux instruments, mais nous avons employé différemment ceux de l’album précédent. C’est bien, ça me rassure, c’est que tu n’as pas l’impression d’un copier-coller mais d’entendre d’autres choses. Erroiak a utilisé les mêmes instruments mais plus avec une approche à l’occidentale pour bien les fondre dans l’ensemble. Je suis d’accord quand tu parles de caricature. Il arrive que des Occidentaux en fassent trop, en musique comme au cinéma, et cela devient vite ridicule ou non crédible. Les ninjas dans « Le dernier samouraï » en sont un bon exemple...
« Kigo », extrait de l’album Akuzaï (Antiq Label – 26/05/2025)
Je vais te poser une question un peu folle mais à 04:20 dans « Kigo » (04:38 dans la vidéo), les quelques notes de piano m’ont de suite fait penser à « That’s My People » de NTM. C’est dingue mais j’ai réécouté ce rap dans la foulée et pour moi c’est net, ce sont les mêmes notes, le même tempo et ça fout une putain d’ambiance, triste et urbaine. C’est un clin d’œil ou totalement fortuit ?
Sakrifiss : Là, je suis allé poser la question à Erroiak parce que tu vois, il ne m’en avait pas parlé. Et voici son message : « La réponse à la question est effectivement oui, et je suis très content que des gens aient la réf ! Ces notes de piano avaient été prises d'un prélude de Chopin que j'ai appris au conservatoire et que j'aime énormément, et ce morceau de NTM est devenu instantanément mon morceau de rap préféré ! » Chopin !!! Voilà, on a élargi nos connaissances musicales. Erroiak me dit souvent qu’il glisse des références par-ci par-là, et certaines sont plus difficiles que d’autres. Sur l’album précédent, il y avait un énorme clin d’œil à BLUE HEARTS, groupe de rock japonais, sur « Le vent ».
Difficile de ne pas aussi parler des voix. Vous adoptez au fil des titres de nombreux timbres, parfois possiblement clivants, comme des pleurs et des lamentations, même si les lignes extrêmes restent dominantes. Il y a également davantage de narration (je trouve) si bien que je perçois une dimension quasi théâtrale dans « Akuzaï » mais également une forme de chant instinctif qui va chercher des émotions, des sonorités, que d’autres chanteurs hésiteraient peut-être à conserver sur l’enregistrement. Comment concevez-vous le chant au sein d’ENTERRÉ VIVANT ? Te concernant, son côté parfois excessif doit-il être mis au regard de sources d’inspirations japonaises, de codes qui n’ont pas forcément de sens pour une oreille européenne ? Et Erroiak utilise-t-il une technique particulière ? J’y entends parfois une absence de pudeur qui contraste avec l’image que tu donnes à voir.
Sakrifiss : Erroiak est un très bon chanteur de black, il te fait ça comme ça, bim boum, et tu as un chant qui colle parfaitement. Il précise : « C'est toujours fait sur le feeling de l'instant, souvent en une seule prise, pour garder un côté authentique. » Par contre, de mon côté je suis incapable de respecter des notes. Et j’ai toujours une terrible envie de mettre un côté douloureux, sensible, torturé dans des compositions. Je suis donc généralement fautif des interventions que tu cites. J’ai des influences du Japon pour certains phrasés car la langue japonaise est principalement constituée de syllabes simples. Cela permet de faire un chant haché naturel. Mais pour le reste, je fais beaucoup d’essais, j’essaie de trouver le timbre, les effets, les fragilités et les fêlures qui peuvent transmettre le propos. Je ne veux pas être répétitif non plus… Et puis, bon, je suis un fan des vocaux de
WOODS OF INFINITY,
SALE FREUX, VINTAGE FLESH ou encore STERBEND donc c’est normal que je m’applique à apporter du saaaaale !
J’aurais aimé terminer cet entretien en te posant des questions plus personnelles, sur ton mode de vie, ton gagne-pain quotidien mais j’ai fini par me dire que cela casserait une part du mystère qui entoure le personnage de Sakrifiss. Cependant, je vais revenir sur l’une de tes dernières vidéos ou tu évoques des Youtubeurs qui parlent de toi. J’en ai visionné quelques-uns et, à part voir des mecs affalés dans leur canapé, j’ai quand même été frappé par l’indigence de certains contenus. Ça sent quand même la paresse à plein nez, comme si le fait de parler de metal était déjà un tel effort / exploit en soi que cela dédouanerait de fournir un effort de montage, de mise en scène, de texte un minimum préparé. Alors sans répéter ce que tu as déjà dit dans ta vidéo, y a-t-il des chaînes, françaises ou internationales, que tu trouves intéressantes, tant sur le fond que sur la forme ? Et quel regard critique portes-tu sur ton propre travail, y a-t-il des choses que tu souhaiterais améliorer à l’avenir ?
Sakrifiss : Il y a des rumeurs sur ma vie, parfois fausses, parfois exagérées. Finalement, c’est juste que certains ont la curiosité de découvrir ce qui leur est caché. Alors que quelqu’un qui montre son visage, tu ne vas même pas te poser la question de savoir s’il est boulanger, s’il fait du deltaplane, s’il pue des pieds. Le fait de cacher mon visage donne sans doute l’impression que quelque chose de mystérieux est à découvrir.
Les personnes qui font des vidéos sur YouTube, je n’ai rien contre, mais j’avoue ne pas en regarder ou écouter beaucoup car cela m’empêche d’écouter de la musique pendant ce temps-là… Par contre, je pense que chacun a sa place puisque chacun a un public. Même celui qui fait cinquante vues, il a finalement cette audience qui attend son contenu. Mais certains se copient trop et ne savent pas trop de quoi parler. Mon originalité est sans doute dans ma manière naturelle d’être et dans le fait de passer des morceaux qui permettent des découvertes. Beaucoup ne mettent pas d’extraits de ce dont ils parlent, peut-être parce qu’ils souhaitent monétiser leurs vidéos. Quand tu passes des extraits, ce n’est pas possible, tu ne gagnes rien… Cependant, si je dois citer un seul vidéaste, j’ai une préférence pour ceux qui ont trouvé leur identité et leur spécialité, donct je dirais Read'Em All. Il est parfait parce qu’il s’est spécialisé dans les livres sur le metal. Il a son créneau, il a du vécu, il a sa façon de présenter... Il est complet.
J’ai une dernière question, peut-être un peu mesquine : penses-tu que tes vidéos, le ton que tu y adoptes, peuvent en quelque sorte être préjudiciables à ton parcours musical ? En effet, tout du moins en France, il est souvent compliqué d’être des deux côtés de la barrière, à la fois critique et artiste, d’autant que tu casses pas mal les codes du black metal avec cet esprit très second degré qui te caractérise. Tu te positionnes comment vis-à-vis de cela ?
Sakrifiss : C’est tout à fait possible, mais cela ne sert à rien d’y penser. Je ne peux pas changer ça. J’aurais peut-être dû cacher le fait d’être dans ENTERRE VIVANT, mais cela aurait été découvert au bout d’un moment. Je pourrais arrêter de faire des vidéos, cela ne changerait rien parce que j’ai déjà mon image. Alors je ne perds pas espoir, je me dis qu’un jour je ferai la carrière de Yannick Noah, rahahahaha. Sérieusement, ceux qui ont des préjugés risquent juste de passer à côté du groupe et c’est dommage pour eux en quelque sorte. Je ne peux pas leur en vouloir en plus, parce que je sais que l’imagerie d’un groupe compte beaucoup. On n’a jamais envie d’imaginer les membres du groupe faire leurs courses, avoir une famille avec enfants et chiens, se laver les cheveux avec du Timotei fortifiant anti-chute… Donc je comprends que certains ont trop mon jean facial en tête pour écouter sérieusement ENTERRE VIVANT. Mon second degré en vidéo correspond à ma nature et à ma vision du black metal, dans lequel on est libre, on s’en « balec ». Dans le groupe je suis sérieux, mais ce n’est pas contradictoire. Quand tu passes un examen et quand tu picoles avec tes amis dégueulasses, c’est le même « toi », aucun n’est faux. De toute façon, je continuerai parce que j’ai besoin de parler des thématiques que j’aborde. J’ai attendu que des groupes le fassent et cela n’est jamais arrivé...
Je me doute que toute ton attention doit en ce moment être portée sur la promotion d’« Akuzaï », cependant, as-tu déjà en tête de nouveaux projets dans lesquels tu souhaiterais t’investir, qu’ils soient ou non musicaux ?
Sakrifiss : Je suis toujours et encore dans la rédaction d’un deuxième livre, à sortir chez le même éditeur : « Flammes Noires ». Encore un peu de patience et je le sortirai. Et puis on va continuer avec ENTERRE VIVANT assez rapidement puisque nous avons déjà un projet, pas un nouvel album mais… un projet. Cela ne devrait pas mettre trop de temps à se concrétiser. Malci pour tes questions, et surtout pour ton soutien !
Tracklist d’« Akuzaï » :
01. Jaken (02:34)
02. Chûtô (04:57)
03. Sesshô (07:00)
04. Waruguchi (00:36)
05. Jain (08:34)
06. Don'yoku (05:58)
07. Môgo (01:08)
08. Shin'i (07:52)
09. Kigo (08:12)
10. Ryôshita (02:56)
Un grand merci à ENTERRÉ VIVANT d’avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions. L’album est en précommande sur le Bandcamp du groupe ou depuis le site du label Antiq.
5 COMMENTAIRE(S)
04/06/2025 18:56
On va devenir des restas !!!
04/06/2025 18:55
En plus j'aime bien de façon générale les thématiques de l'histoire et des civilisations donc le sujet m'intéresse.
Les titres sont surtout plus courts, car on voulait éviter d'étirer à nouveau comme la dernière fois !
04/06/2025 08:10
En plus j'aime bien de façon générale les thématiques de l'histoire et des civilisations donc le sujet m'intéresse.
04/06/2025 07:27
03/06/2025 19:51